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Le récital emphatique de Michel Fau

Pour les mélomanes, le nom de évoquera plus probablement le metteur en scène d'opéra que le comédien. Peut-être se souviendront-ils également de sa prestation lors de la nuit des Molières, en imitation déjantée de Carla Bruni. Cet artiste protéiforme, excessif, et génialement de mauvais goût, assouvit dans le récital emphatique, son amour du travesti, du théâtre et de l'opéra.

Ce spectacle inclassable démarre avec la danse des prêtresses de Dagon, extrait de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns. Enrobé de voiles mousseux aux couleurs acidulées, orné de multiples bracelets, entame une chorégraphie impeccable et gracieuse, sans aucun grotesque. Il recommence le même exercice sur la célèbre Bacchanale, et aura entre-temps interprété, ou devrait-on dire exécuté, tant la voix ne s'y prête pas, « mon cœur s'ouvre à ta voix ». Tout y est, dans les poses lascives, les moues, les clignements des yeux, de la diva du XIX° siècle. Les photos d'époque de Felia Litvinne, Célestine Galli-Marié ou Emma Calvé défilent à grande vitesse dans nos mémoires. Le public rit fort, plus probablement de voir un homme attifé en femme se trémousser. Pour notre part, nous avons été beaucoup plus émue qu'amusée, tant cette parodie est une déclaration d'amour à l'opéra, peut-être la réalisation du rêve insensé d'un homme qui voulait devenir cantatrice, ne serait-ce qu'un soir, et qui ne peut y parvenir, conventions et tessiture obligent, que par le filtre du rire !

Après un joli intermède pianiste de Matthieu El Fasci, revient sur scène dans une éblouissante robe lamé or, et c'est le retour au monde du théâtre avec le monologue de Phèdre, dit à la suite de quatre façons différentes, mais tout aussi foutraques. On y a reconnu, mais tout le monde n'est pas d'accord, une déclamation XIX° siècle à la Sarah Bernhardt, une façon « théâtre de boulevard » (notre préférée) un style baroque, avec consonnes finales obligées, une manière « jeune artiste contemporaine engagée et inintelligible ». C'est un formidable tour de force, de talent, et de connaissance des règles de l'interprétation !

Le « tristes apprêts », extrait de Castor et Pollux de Rameau est plus convenu, imaginé uniquement pour la grosse rigolade. Suit un formidable texte parodique de Roland Menou, inspiré de l'amant chinois de Marguerite Duras, qui commence sur le Mékong et se termine à Nevers ! Michel Fau le dit d'une façon ingénue, distillant savamment trivialité, incongruité et innocence factice, balayant tout sur son passage.

Pour terminer l'artiste nous sert un extrait de Carmen, clin d'œil aux conventions opératiques. Le bis, pour démontrer qu'il n'y a pas que le lyrique dans la vie, sera une désopilante reprise de la chanson « je veux » de la chanteuse Zaz, « mélodie française militante contre la fracture sociale » (sic).

Si l'on veut résumer cette soirée, on dira qu'on s'est beaucoup amusée, mais que Michel Fau, loin d'être un épigone de Jean-Marie Bigard, fait appel à tant de références artistiques et historiques qu'on a l'impression de sortir plus intelligent de ce spectacle. La culture, bien malmenée ces derniers temps, ne peut que l'en remercier.

Crédit photographique : Michel Fau © Marcel Hartmann

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