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L’intégrale de l’œuvre pour piano de Georges Enesco

Toute l'évolution du plus français des roumains de l'époque, vs George Enescu, est contenue dans ce double album à marquer d'une pierre blanche dans les récentes publications consacrées à l'un des plus intéressants compositeurs du vingtième siècle. Dans ses trois sonates, l'évolution stylistique est une évidence. Si les deux premières révèlent encore leurs influences, la troisième reste une des meilleures créations du compositeur et un des plus grands chefs-d'œuvre de l'époque, souffrant aisément la comparaison avec ce qu'écrivit Bartók à peu près à la même période.
L'écriture, fort intimidante pour des non-virtuoses accomplis, nécessite, outre une technique transcendante, un savoir-faire interprétatif qui donnera un sens poétique, un « caractère populaire roumain » qui saura aller au-delà des gros effets irritants d'un folklorisme incongru puisque imaginaire et réinventé.
Une longue pratique commune d'échanges musicaux de nos deux interprètes font la réussite incontestable de ce double album.
, pour l'avoir vu et entendu sur scène à Besançon dans une intégrale des sonates de Mozart, recréé tout ce qu'il touche. Une inventivité de tous les instants s'empare du texte écrit pour en faire une projection hautement inspirée de l'esprit, dont la machine exécutante qu'est le corps se trouve enveloppée et habitée par le geste musical. Sans être extraverti, Paley n'obéit qu'à une quête de vérité toute personnelle, jamais soumise aux pauvres indications écrites par les auteurs. En duo, la magie opère de la même façon. Enesco a écrit sa sonate de manière extrêmement précise, suprêmement raffinée à tous les échelons, méticuleusement complexe . Autant dire un pain béni pour nos artistes.
Quel plaisir de faire sonner un piano comme un cymbalum ou une percussion ; un violon comme une flûte ou un oiseau. Quel intense joie d'arriver aux retranchements incroyables, techniques et humains, vers lesquels pousse l'auteur. L'échange et la concordance totale entre Paley, qui donne à son clavier des couleurs chambristes d'une subtilité incroyables, une puissance symphonique étourdissante, du plus suraigu au plus grave des notes, et Ganz qui joue avec son violon comme les immenses virtuoses roumains qui n'ont jamais touché à la musique classique. L'andante sostenuto e misterioso de l'opus 25 sidère dans cette forme d'accomplissement fascinant.
La sonate « Torso », inachevée et rarement entendue emprunte les mêmes chemins, tout comme les impressions d'enfance, sorte de long poème symphonique à deux, nostalgique et onirique retour aux origines, gorgé d'émouvants souvenirs évanescents fixés sur le papier et rendus permanents par ces artistes accomplis.
Une fabuleuse réussite, et une pierre de plus dans le jardin encore en friche d'Enesco.

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