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ManiFeste : Manoury – Berio, des visions célestes

A l'Espace de projection de l' comme à la Cité de la Musique, poursuit sa rétrospective Manoury qui honore les soixante ans d'un compositeur dont l'investissement dans les techniques de transformation en temps réel se traduit aujourd'hui par un corpus d'oeuvres impressionnant touchant tous les domaines de la création musicale. Ainsi le cycle d'oeuvres très astral Sonus ex machina, réalisé à l' de 87 à 89, avec la collaboration du mathématicien américain Miller Puckette, contient-il quatre pièces, Jupiter (pour flûte), Pluton (pour piano), La Partition du Ciel et de l'Enfer (pour orchestre) et Neptune (pour trois percussionnistes), confrontées à la machine et à ses différents modes de réaction. Après Pluton, un chef d'oeuvre de 50′ dont le pianiste Sébastien Vichard, immense, révélait l'envergure visionnaire dans les locaux de l', les trois percussionnistes de l'EIC – de tout jeunes instrumentistes dont le talent tutoie l'excellence – , sur la scène de la Cité, le lendemain, donnaient Neptune pour deux vibraphones midi, un marimba et un tam tam. La pièce, spectaculaire et amplement développée, met à l'oeuvre, comme dans le Livre des claviers, la brillance des sonorités et la virtuosité du geste; mais elle exploite aussi tous les modes d'interaction entre le jeu instrumental et la machine, générant un matériau et des strates sonores d'une étonnante diversité; comme dans Pluton, l'écoute est sans arrêt sollicitée par les réactions surprenantes autant que sévèrement calculées des logiciels, relevant de « l'écriture du temps réel » dont Manoury se fait ici le chantre incontesté… dans le sillage du Maître Stockhausen à qui il rend hommage dans la dernière séquence, en mettant en résonance le tam tam – celui de Microphonie I – sur les sonorités filtrées duquel s'achève cette trajectoire inouïe.

Jamais jouée en France, la seconde pièce du programme n'était pas moins impressionnante. Composé en 1988 – un an après la création du Centro Tempo Reale de Florence – et révisé en 97, Ofanim – qui veut dire Roues en hébreu – de fait aussi appel à un dispositif électronique en temps réel; l'oeuvre, conduite par qui en révélait la singulière beauté, réunissait ce soir l', la – remarquablement préparée par – et la contralto pour qui Berio écrit la partie de chant finale. Le texte, en hébreu, prend sa source dans l'Ancien Testament et alterne les visions fantasmagoriques du prophète Ezéchiel et la poésie évocatrice et sensuelle du Cantique des Cantiques. En le confiant à des voix d'enfants (un double choeur à voix égales), Berio mise sur la simplicité de l'écriture et l'efficacité des couleurs, du chant séraphique évoquant la Bien-aimée, au parlé-crié du récit d'Ezéchiel. Le dispositif instrumental très coloré lui aussi est scindé en deux ensembles symétriques; Berio exclut les cordes et joue sur les contrastes entre vents doux (8 flûtes, 4 clarinettes, 2 cors… ) et instruments bruyants accompagnant la parole d'Ezéchiel (4 trompettes, 2 trombones, 2 percussions…); L'écriture instrumentale chatoyante auréolant les voix d'enfant relève d'une sensibilité des plus fine. L'outil électronique, quant à lui, joue moins sur les transformations du matériau sonore que sur la création d'un espace virtuel, circulaire et rotatif, dans lequel l'auditeur se sent totalement immergé. Au terme de ce rituel étrange, la chanteuse, drapée dans une ample tunique et jusque là tapie dans l'ombre, investit le devant de la scène pour chanter sa complainte, sorte de cri guttural et âpre venu du fond de l'être qui semble crever le silence pour répercuter l'écho tragique de la destinée.

Crédit photographique : © Christophe Abramowitz

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