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Le piano russe dans tous ses éclats

La deuxième soirée du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon s'inscrivait plus directement dans la thématique « Musique et Pouvoir » choisie par Jean-Pierre Le Pavec comme ligne de force de sa première édition : en consacrant une pleine soirée à la musique russe, celle des Tsars ( et Rimski-Korsakov) et des compositeurs en butte à la bureaucratie soviétique comme Chostakovitch et le mystique Schnittke, plus d'une fois inquiété par les autorités officielles du Parti. Après l'archet conquérant de Renaud Capuçon, c'est le piano, dans la grande tradition de l'école russe, qui était à l'honneur ce soir, avec rien moins que trois solistes, tous phénoménaux, qui se relayaient d'un concerto à l'autre, dans un répertoire quelque peu inégal qui n'évitait ni le bavardage ni le pianisme au kilomètre. Au pupitre, le chef bulgare , tout juste 31 ans, conduisait solistes et orchestre avec toute l'énergie de sa jeunesse.

Très curieuse et déroutante, la première pièce d', Moz-Art à la Haydn pour deux ensembles à cordes et deux solistes relève de ce qu'il nomme sa « musique polystylistique » confrontant en effet, dans un goût un rien douteux, une musique de textures aux effets bruités à des citations, collages, pastiches (Symphonie n°40 de Mozart, Symphonie « des adieux » de Haydn). Ce « chaud / froid » un peu systématique s'accompagne d'une théâtralité (effets de lumière, déplacements des musiciens, debout/assis/debout) dans un ensemble très énigmatique et peu convainquant.

Héritier passionné de Chopin et de Liszt, le pianiste/compositeur , fondateur et directeur émérite du conservatoire de Saint-Pétersbourg, ne possède pour autant, en matière d'écriture, ni la profondeur harmonique du premier ni le brillant fantasque du deuxième. L'ennui gagne vite à l'écoute des trois mouvements de son Concerto n°3 dépourvu d'une réelle unité de style, même si l'abattage technique d', d'une grande générosité de son, ne laisse de captiver son auditoire. Plus concis et tout en éclats de couleurs, le Concerto en ut dièse mineur de , fervent agent du Groupe des Cinq, est une pièce conçue d'un seul tenant laissant supposer quelque argument programmatique. Un thème conducteur aux couleurs populaires est énoncé par les pupitres de l'orchestre avant que le piano s'en empare pour le broder avantageusement. , mieux encore que son prédécesseur, met à l'oeuvre une technique prodigieuse « au fond du clavier » laissant s'éployer une résonance ample et chaleureuse; des qualités malheureusement bien peu partagées par un orchestre pataud aux sonorités parfois plus qu'ingrates.

La palme revenait au troisième soliste de la soirée, le benjamin (26 ans) formé aux trois écoles, russe, anglaise et française ; il était aux côtés de dans le très atypique Concerto n°1 pour piano, trompette et cordes de Chostakovitch écrit en 1933 par un compositeur qui n'est pas encore contraint de « composer » avec le Parti. Chostakovitch fait ici de larges emprunts aux pièces qu'il avait écrites précédemment pour le Music-hall de Léningrad en invitant comme deuxième soliste la trompette – irrésistible – qui vient parfois surligner très audacieusement les sonorités du piano : l'instrument est « mitrailleur » sous les doigts diaboliques d' qui tire de son clavier des résonances inouïes; galvanisé par un orchestre plus coopérant, il donnait à l'Allegro final, éblouissant et rejoué en bis, l'aspect mordant et caricatural dont va se parer l'ironie chostakovienne.

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