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Le Don Giovanni triomphant de Roland Schwab

A quelques encablures de la maison de Dali, le village de Peralada, dans cette Catalogne espagnole du Nord qui recèle plus d'un joyau, accueille chaque année depuis 1986 un festival lyrique dans les somptueux jardins du Château.

En invité d'honneur, et pour deux représentations de plein air, le Deutsche Oper Berlin, centenaire en 2012, donnait le Don Giovanni de , une production de 2010 qui avait fait scandale à Berlin pour ses options par trop pornographiques. On ne relève au final rien de bien choquant dans cette reprise sans doute très édulcorée qui était présentée au public de Peralada, même si les choix opérés par , au sein d'un travail d'une puissance phénoménale, n'en restent pas moins radicaux et décapants.

Peu d'opéras de Mozart n'auront suscité autant d'interprétations scéniques que Don Giovanni: rappelons celle, mythique, de et ses deux jumeaux noirs ou, plus récemment, celle du cinéaste autrichien situant l'action dans les tours modernes de La Défense. n'impose, quant à lui, ni lieu ni époque (le plateau reste nu durant les premières scènes) mais fait d'emblée intervenir vingt cinq figurants hommes, expression collective de la puissance mâle du double Don Giovanni/Leporello; ensemble et jusqu'à l'apparition du Convive de pierre qui tempère les ardeurs de Leporello, ils vont manipuler les autres personnages et transgresser les codes de la morale et de la religion. Si Schwab, avec les cannes de golf dont sont « armés » les figurants, file la métaphore de la compétition sportive, Don Giovanni comptant le nombre de ses victimes à l'aide de cartons jaunes, les allusions à la Passion du Christ se lisent en filigrane durant tout l'opéra (port de la croix, souffrance, flagellation…), la dernière scène du banquet devenant « La Cène » où l'on voit Don Giovanni partager le pain avec ses démons. En évacuant la fin moralisatrice prévue par Mozart, Roland Schwab accorde l'immortalité à Don Giovanni qui se relève et gratifie l'auditoire d'un dernier ricanement diabolique.

Côté scénographie, après le décor floral très kitch pour le mariage de Zerline, l'apparition en fond de scène de deux machines infernales et lumineuses portant des corps en souffrance servent l'atmosphère dantesque qui clôt les deux actes; efficace dans son dénuement, la scène du cimetière se passe devant le rideau de fer, à grand renfort de percussions résonnantes sur la paroi métallique tandis que le sac poubelle noir, dont Leporello tire ses papiers froissés dans l'Air du Catalogue, devient le matériau et l'outil de référence de la bande des « nettoyeurs ». Sur la scène, mouvement et rythme sont soutenus, et sans défaillance, par d'incessantes trouvailles émaillées d'humour et de dérision.

L'immense baryton de Malaga, , tournant le dos à l'élégance du séducteur, incarne un Don Giovanni démoniaque et triomphant; l'abattage vocal et scénique de son double, le baryton-basse est tout aussi étonnant, donnant une fulgurance peu commune au personnage de Leporello. Cet univers d'hommes efface un rien l'aura des trois femmes prises dans les filets de leurs dominateurs; à la peine dans ses aigus, campe une Donna Anna peu combattive; /Donna Elvira tire mieux son épingle du jeu tandis que Jana Kuruçova s'impose par la fraicheur et la séduction de son timbre. La voix de /Commandeur, bénéficiant de l'amplification, est somptueuse, /Don Ottavio et /Masetto complétant un plateau de très bonne tenue.

Le bémol provient de la fosse dont les sonorités ingrates (défaut de l'amplification?) servent mal le chef-d'oeuvre mozartien; la direction sans subtilité du chef espagnol n'atteint malheureusement pas la hauteur d'une production qui méritait beaucoup mieux.

Crédits photographiques : Château de Peralada © Festival Castell Peralada ; © Keith Penner

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