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De l’utilisation du folklore chez Bartók, Kodály, Ligeti

Lorsqu'au XIXe siècle, les compositeurs Russes développent la première « école nationale » de musique (pour s'émanciper des esthétiques française, italienne et germanique qui règnent sans partage sur la monde occidentale depuis l'ère baroque), ils comprennent vite que le folklore -ou l'image fantasmée qu'ils en ont- se doit d'alimenter cette quête d'identité culturelle propre. Et lorsque d'autres pays les suivent (pêle-mêle la Pologne, la Tchéquie, la Hongrie, l'Espagne, etc.), tous veulent puiser dans leur « trésor national » respectif sans qu'aucun compositeur ne se fasse vraiment « folkloriste » avant Janáček. Aidé par les nouvelles techniques d'enregistrement, Bartók finira par fonder une ethnomusicologie véritable, plus scientifique que la démarche de son aîné tchèque. Ne se limitant pas à sa Hongrie natale, il pousse les voyages de collectes jusqu'aux Balkans, à la Turquie et à l'Afrique du Nord.

S'il utilise les modes et particularités mélodico-rythmiques de certains types de mélodies étudiés, le Hongrois recrée ce qu'il est commun de nommer un « folklore imaginaire » qui n'utilise pas (ou très peu) de matériau « authentique ». Dans le même état d'esprit, son ami a consacré une thèse à la « structure strophique dans le chant traditionnel hongrois » et fut parfois accusé d'avoir parfois plagié Bartók –celui-ci prend sa défense en précisant que certains « voudraient faire croire que l'amitié qui nous unit est utilisée par Kodály pour son propre compte. C'est un mensonge des plus stupides. Kodály est un des compositeurs majeurs de notre temps. Son art, comme le mien, possède des racines doubles : il a jailli du sol paysan hongrois et de la musique française moderne [Debussy] ».

La Sérénade op.12 de Kodály (1919-1920) et les 44 duos pour 2 violons de Bartók (à vocation pédagogique, publiés en 1931) ont bien en commun une inspiration folklorique. On pense par ailleurs entendre chez Kodály (Allegramente) une phrase plus tard « reprise » dans le Concerto pour violon n°2 de Bartók tandis que chez ce dernier, les titres des pièces permettent d'en situer les « sources » en Hongrie, Moravie, Slovaquie, Ruthénie, Roumanie, Serbie avec, également, une danse arabe (Livre IV, duo XLII). Pour conclure le présent programme, les interprètes ont choisi Balade et danse de Ligeti (écrites en 1950, soit trois avant les bartokiennes Métamorphoses nocturnes pour quatuor à cordes), pièces que l'on qualifiera, peut-être à l'emporte-pièce, de « néo-folkloriste ». Des interprétations d'Anna Wójtowicz, Pawet Wójtowicz et Elżbieta Gromada, on retiendra surtout une Sérénade où règne un parfait équilibre entre attachement au sol et modernité. Si les pages de Ligeti sont également bien servies (les atmosphères y sont habilement installées, malgré la brièveté de l'ensemble), les Duos de Bartók semblent parfois manquer de panache et/ou de relief (malgré d'intéressantes recherches de phrasé et de timbres). Il reste décidément difficile de faire plus idiomatique que Gertler/Suk (Supraphon) !Quant au livret qui accompagne le disque, on regrette que la notice soit exclusivement dédiée aux biographies des interprètes sans allusion aux œuvres du programme et que la mise en scène, en page et en image relève du kitsch. Il y avait également mieux à faire de ce côté-là.

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