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Création française de la cantate Faust de Schnittke

Les moqueurs qui persiflent que la France musicale se complait dans une cérébralité isolée des grands courants internationaux en seront pour leurs frais, car les signes d'ouverture sont patents : il ne se sera écoulé que 29 années et 3 mois entre la création mondiale de la cantate Faust d' en juin 1983 à Vienne, une des oeuvres les plus représentatives de son auteur, et sa création française, intervenue Salle Pleyel aux premiers jours de l'automne 2012. Pour l'événement, le chef russe dirigeait les forces de Radio France au grand complet.

Certes, lorsque la BCC joue à Londres cette œuvre, comme elle l'a fait par exemple l'an dernier, elle la fait précéder de la rare Symphonie n°1 de Tchaïkovski, afin qu'ainsi la cantate forme le couronnement de la soirée. A Paris au contraire, Faust est servie en début de concert, sorte de mise en bouche à l'archi-tube de la Pathétique. Quant au soin bien français à rendre ennuyeuse la musique actuelle, il donne encore de beaux signes de vitalité. Là où la BBC fait sonner la garde,  Radio France fait résonner le glas : en Angleterre, on fait palpiter le mélomane en lui expliquant que dans cette œuvre Schnittke s'est adonné à ses « provocations typiques sur la légende de Faust, en mélangeant musiques de tango, de cabaret, de concert de concert, d'incantation médiévale, de grand opéra et de théâtre louche pour retracer la terrible histoire de la descente frénétique de son héros en enfer ». En France, on lui explique doctement que « c'est à l'époque de sa conversion au catholicisme, à l'âge de quarante-huit ans, que Schnittke écrivit sa cantate Seid nüchtern und wachet (« Soyez vigilants et veillez »). Née de la lecture du Doktor Faustus de Thomas Mann, la curiosité de Schnittke pour Faust l'avait poussé à de nombreuses recherches et conduit jusqu'à L'Histoire de Johann Faust, récit anonyme publié en 1587. (…) La partition s'impose par son envergure vocale et orchestrale à la violence expressionniste. Orgue, clavecin, piano, célesta et synthétiseur créent des couleurs souvent mystérieuses. L'épilogue, dont les premiers mots « Soyez vigilants et veillez » ont donné leur titre à la cantate, est porteur du message spirituel de l'œuvre, méditation sur le pouvoir du mal et le combat spirituel en l'homme. » Si les deux approches sont également correctes, l'une cherche à remplir les salles et l'autre les cerveaux.

Quoi qu'il en soit, la salle Pleyel a fait le plein pour cette création-événement, et avec un public jeune bien plus conséquent qu'à l'ordinaire des concerts de l'ouest parisien. conduit avec le relief et le pouvoir d'évocation requis ce patchwork de styles et de d'atmosphères, jusqu'à la culmination de la septième partie : sur une musique de tango endiablé (l'adjectif a tout son poids ici) les chœurs décrivent la scène où le héros vient de passer outre-tombe: « de Faust, ils ne virent pas, rien ; la pièce était couverte de sang. Sa cervelle était collée au mur, car le diable l'avait projeté d'un mur contre l'autre. Il y avait aussi ses yeux et bon nombre de ses dents, spectacle atroce et terrifiant ». On est loin de l'atmosphère Second Empire de  ! L'effet de cette scène fut toutefois partiellement manqué, car celui-ci repose sur la sonorisation de la contralto qui incarne le diable, et dont l'intervention est sous-tendue par des commentaires moqueurs du contre-ténor. Faute de l'amplification requise dans ce moment où toutes les forces orchestrales et chorales sont déchaînées, donnait tous les signes apparents d'une intensité activité vocale, sans que cet effort se traduise par la moindre perception d'une émission sonore, à croire que la partition indiquait qu'elle avait ici un rôle… de mime.

Présenter la Pathétique en seconde partie était à vrai dire une fausse bonne idée, non seulement sur le plan artistique car elle décentrait l'attention du Faust et donnait à l'effectif requis pour la symphonie l'impression qu'il s'agissait d'une oeuvre de musique de chambre, mais également parce qu'elle exposait le chef et l'orchestre à devoir se surpasser dans une œuvre très attendue. Dans le premier mouvement Fedoseiev a su insuffler une belle atmosphère au tempo large, sans vulgarité, bien secondé par la poésie et l'individualité des bois. Après un second mouvement Allegro con grazia où l'orchestre fut curieusement abandonné à lui-même, Fedoseiev se ressaisit pour un vigoureux Allegro molto vivace, guère passionnant toutefois. Ce n'est que dans l'Adagio lamentoso terminal que le chef retrouva sa pleine inspiration, accomplissant de main de maître un superbe crescendo de l'amour jusqu'à la douleur aigüe, et chutant de ce climax grimaçant à un silence exténué – belle intervention conclusive des contrebasses.

, tout juste 80 ans, a donné une belle leçon de foi dans la beauté et le drame, et il a su partager le souffle de la grande Russie aux musiciens français en valorisant leurs couleurs spécifiques. – Maestro, à quand la création française de Historia von D. Johann Fausten, l'opéra que Schnittke a composé en  y intégrant cette cantate comme dernier acte, et donné à Hambourg en 1995 ?

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