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L’Ippolito d’Almeida au Festival d’Ambronay

Lorsque, la plume révoltée, Voltaire lança combien terrifiants étaient les effets du séisme qui ravagea Lisbonne en 1755, il ne se payait pas de mots.

Peut-être l'art de vivre dans l'aristocratie portugaise au milieu du XVIIIe siècle n'a-t-il pas trouvé plus fidèle reconstitution que dans le film Los misterios de Lisboã de Raul Ruiz. Au milieu de tant de destructions humaines et matérielles, quelques partitions survécurent par miracle, dont la sérénade Ippolito d'Almeida, écrite en 1752.

Comme il en était souvent la règle en ce temps, un jeune compositeur européen n'avait qu'une destination pour acquérir les ultimes savoir-faire artistiques : Rome. Là, auprès de maîtres éprouvés, il étudiait le vieux style sacré, ce qui n'empêchait pas l'impétrant de fureter, ça-et-là, auprès des cercles aristocratiques et cardinalices pour y découvrir les musiques « mondaines » les plus modernes. Tel fut le sort de . L'instigatrice de son séjour romain fut Maria-Barbara de Braganza, infante du Portugal devenue reine d'Espagne, qui fut également la patronne de Domenico Scarlatti et la destinatrice de nombre de ses sonates pour clavier.

En ses deux parties, Ippolito est une roborative sérénade : elle dure deux bonnes heures ; et dans la plupart des arias, la partie A est répétée (de cinq minutes, une aria passe à huit). Le livret resserre squelettiquement l'intrigue et en modifie les points essentiels : Hippolyte serait né d'une éphémère aventure entre Thésée et la reine des Amazones ; à l'égard de Thésée, le librettiste a eu des pudeurs de rosières (le héros est ici mué de trousseur de jupons en noble prisonnier) ; puis, croyant que Hippolyte était réellement épris de Phèdre (sa seconde épouse), Thésée aurait ordonné à des monstres marins d'engloutir son fils ; enfin (lieto fine oblige), Neptune aurait ramené Hippolyte et Phèdre (prise de remords, elle avait mis fin à ses jours) de trépas à vie. Dans une telle sérénade, le but n'est pas ni la plausibilité factuelle ni la crédibilité dramaturgique ; il consiste seulement à coudre habilement une succession d'arie (chacune finement caractérisée), que n'interrompent qu'un duo (à la fin de la première partie) et un chœur qui ferme l'ouvrage. Ce but est atteint. Quant à l'esthétique générale, elle offre des échos à Pergolesi et à Hasse, quand elle n'a pas retenu de solides leçons de l'art italien selon Handel. Cette sérénade fut sans doute créée avec des riches moyens. En témoigne l'opulente orchestration : deux flûtes, deux hautbois, deux bassons, deux cors, deux trompettes et les cordes.

Coréalisée par le Festival de Sablé (elle y fut donnée à la fin d'août dernier) et le Festival d'Ambronay, cette production est une réussite. D'abord, elle révèle une œuvre où le chatoiement des couleurs et la variété des affects intéresse toujours. Sans doute grâce à une mise-en-espace dont la vertu est d'exciter à davantage d'implication dramatique, le plateau vocal, de solide tenue, a frappé par son engagement. On y distinguera plus particulièrement (même un peu fatiguée, elle allie un timbre diamantin à un rare talent de rendre touchants chaque mot et chaque expression) et (timbre dense et riche, tessiture aussi longue que maîtrisée, et sens théâtral aussi pudique que dense), dont le parcours est à suivre sans délai.

La Casa de Música, à Porto, est une passionnante institution car elle soutient trois excellents groupes musicaux : Remix (il figure dans le gratin européen des ensembles de musique contemporaine), Orquestra Sinfónica do Porto (invité, dans quelques jours, à clore le festival Musica) et cet Orquestra barocca, compétent, techniquement sûr et riche de couleurs comme d'élans.

Crédit photographique : (Lesbia) © Bertrand Pichène – CCR d'Ambronay

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