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Oïstrakh et Rostropovitch sur un nuage

Né dans ce qui était encore un empire au cours de la même décennie que Heifetz et Milstein, Oïstrakh est le seul d'entre eux à ne pas avoir quitté l'Union Soviétique (ce qu'on fait les deux autres dans les années 1920). S'il est souvent affublé du surnom de « Roi David », il est en réalité le véritable « Tsar » du violon russe de son temps. Et puisqu'il dérive étymologiquement du latin Caesar – qui a entre autres donné l'allemand Kaiser – le terme est à comprendre dans toute son acception historique et internationale, qui excède les frontières de l'URSS d'alors.

L'homme est la tête d'une riche discographie concertante et les partitions qu'il marque de son empreinte de géant sont légions. Dans la « shortlist » de ses enregistrements les plus célèbres (et facilement disponibles), on trouve les noms de Beethoven (avec Cluytens –EMI), Chostakovitch (Mitropoulos –Sony), Brahms (l'op. 77, avec divers chef et le « Double » avec Rostropovitch et Szell !–EMI), Katchaturian (avec le compositeur en 1954 (EMI) ou 1965 (Vox)), etc. Pour sortir des sentiers battus, il faut écouter en priorité le trop rare Concerto n°1 de Bartók (en compagnie d'un Rojdestvensky tout aussi impérial) et, par dessus tout, l'électrisant Szymanowski (n°1) sous la baguette de (divers labels).

Entre 1938 et 1962, Oïstrakh enregistre l'opus 35 de Tchaïkovski de très nombreuses fois. Quatorze, pour être précis ! Il tient l'archet dans douze de ces versions et dirige les deux autres (dont une avec le « prince Igor », son fils). Le label Melodiya réédite aujourd'hui la version gravée avec Kirill Kondrashin (1957), chef dont il est en l'occurrence difficile de juger la prestation tant l'ensemble est dominé (et de loin) par un violoniste qui attire (ou produit) toute la lumière. De bout en bout, sa prestation est une magistrale leçon de style qui domine de très haut un orchestre n'ayant d'autre choix que d'accompagner de manière révérencieuse, sans véritableme dialogue. A entendre Oïstrakh tailler un diamant d'une telle pureté – peut-on faire preuve de plus de précision d'intonation ? – avec expressivité mais sans sentimentalisme, on se laisse hypnotiser (encore une fois) par un artiste qui n'a décidément pas fini de nous subjuguer. Car on a beau savoir, on a beau s'y attendre, on ne s'habitue pas pour autant et chaque nouvelle écoute est un enchantement.

En complément, Melodiya s'offre le luxe de la collaboration entre et Guennadi Rojdestvensky dans les Variations sur un thème Rococco du même Tchaïkovski. Si la célèbre partition n'est pas la plus inspirée de son auteur, le chef (que l'on aimerait décidément entendre plus souvent et dont le même label vient de republier l'intégrale superlative des symphonies de Prokofiev) est aussi engagé et attentif que possible tandis que le soliste, racé et élégant, semble dessiner les variations à main levée avec une insolente facilité technique.

Certes, cette réédition ne contient rien d'inédit ou d'inconnu. Pour autant, impossible de ne pas l'accueillir avec l'enthousiasme que ces grands interprètes suscitent encore et toujours. Et lorsque l'on entend ces trésors, on se prend à rêver de se laisser enfermer dans les archives de Melodiya le temps de quelques vacances russes.

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