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A Pleyel, Le Sacre de Paavo Järvi

Ce concert du jeudi reprenait la structure et en partie le programme de la veille, conservant l'ouverture et le plat de résistance, remplaçant les deux œuvres centrales, pour offrir aux auditeurs de la Salle Pleyel un menu fort copieux autant que varié. Ainsi deux œuvres quasi contemporaines des années 1910 signées Ravel et Stravinsky encadraient un concerto de Mozart, le vingt-quatrième pour piano succédant au n°3 pour violon donné la veille, suivi par une œuvre également concertante mais nettement plus moderne, Sur le même accord d'Henri Dutilleux hier, la création mondiale du concerto pour piano La Vie antérieure de ce soir.

Pour la version pour orchestre du Tombeau de Couperin, Ravel n'a retenu que quatre des six mouvements de la suite pour piano, éliminant la Fugue et la Toccata et, pour finir sur un mouvement vif, plaça le Rigaudon en dernier. Si chaque danse est un hommage à des soldats morts au combat pendant la Grande Guerre, il n'y a rien de morbide dans l'écriture de Ravel, et c'est avec une certaine allégresse que le chef attaqua les premières mesures du Prélude, où le legato et la rondeur du son donnèrent un caractère élégant autant que quelque peu nonchalant à cette musique, retirant un peu de netteté à l'articulation et aux interventions des solistes, prépondérantes dans ce quasi concerto pour orchestre. La réécoute du concert sur Medici.tv nous montra que l'acoustique de la salle, à l'endroit où nous nous trouvions, en ajouta une couche dans la fusion des sons, alors que les micros rééquilibraient nettement l'écoute au profit d'une mise en évidence des solistes, tous remarquables tout au long de la soirée, qui rendit l'écoute plus vivante et captivante. Ce même effet se produisit pour le concerto pour piano n°24 de Mozart, qui, en direct nous paru ici ou là un poil indolent, en particulier lors de l'introduction orchestrale qui manqua d'élan. La suite montra à l'évidence que chef et soliste choisirent un style tout en classicisme élégant et distingué, où la simplicité des phrasés, la justesse de tempo et l'attention portée aux équilibres et dialogues instrumentaux furent exemplaires. Cette version raffinée et rigoureuse, fuyant tout spectaculaire, et de fait assez peu dramatique, manqua d'un peu de présence en salle et s'appréciait finalement mieux au travers des micros qu'in situ où les esthétiques quasi chambristes ne sont jamais à la fête.

et se retrouvèrent ensuite pour la création mondiale du concerto pour piano de Karol Beffa, inspiré par le sonnet de Baudelaire intitulé La Vie antérieure. Si cette pièce a la durée assez habituelle de beaucoup d'œuvres contemporaines qui tournent autour du quart d'heure, elle s'éloigne de la tradition avant-gardiste pour retrouver un langage basé sur l'harmonie et l'exposé de phrases musicales mémorisables. La structure tripartite de l'œuvre et la progression musicale dans chaque section participent à la clarté et la lisibilité de ce concerto qui ne verse jamais dans l'abstrait et la cérébralité mais reste constamment sensoriel. Il est ainsi assez facilement abordable et compréhensible, ce qui le rend « tout public » et explique sûrement son succès auprès du public du soir pour sa première exécution où l'ensemble des interprètes nous semblèrent dignes d'éloge. Pour clore cette copieuse première partie de soirée, se lança dans un bis brillant et vigoureux avec Orage extrait de la Première année de pèlerinage de Liszt.

Avec Le Sacre du printemps, nous allions retrouver le plus personnel et original, qui donne à ses interprétations des grands tubes du répertoire tout son intérêt. Cette version du plus fameux ballet du XXème siècle n'échappa pas à cette règle, et cela s'entendit dès la première note solo ad libitum du basson, étirée et crescendo. La suite impressionna le plus souvent grâce à la performance de l'orchestre et à l'animation que sut mettre le chef dans les multiples sections de l'œuvre. Car c'est justement en jouant sur l'énorme dynamique de l'orchestre, les jeux de solistes, les équilibres instrumentaux que le chef construisit son interprétation qui avança un peu par bloc, laissant de côté le jeu sur les phrasés, trop neutres, mécaniquement répétitifs et du coup enlevant de l'expressivité. Ce serait là le seul reproche que nous ferons à cette version, avec peut-être une trop forte sollicitation des percussions auxquelles le chef demanda souvent la plus que pleine puissance, les conduisant à cogner un peu fort quand-même, ce qu'ils firent avec talent, comme le prouva le tout aussi bruyant triomphe à l'applaudimètre qui récompensa , le timbalier en titre de l'orchestre.

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