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Des espaces futuristes à la Cité de la musique (I)

« Mon but a toujours été la libération du son et d'ouvrir largement à la musique tout l'univers des sons » proclamait Varèse le visionnaire à qui l' rendait un vibrant hommage lors d'un des concerts du cycle Futurismes de la Cité de la Musique, concert co-produit par le Festival d'Automne et le .

Cette soirée somptueuse où l'oeuvre d' côtoyait la création d'aujourd'hui s'ouvrait avec Ionisation, premier chef d'oeuvre pour percussions seules (1929-1931). Elle convoque treize percussionnistes (pianiste compris) et un instrumentarium des plus fourni au sein duquel Varèse introduit le son-bruit (sirènes, enclume et tambour à corde, alias « rugissement du lion ») en éliminant toute percussion à hauteur déterminée pour libérer le champ sonore du système tempéré. La classe de percussion du CNSMDP prêtait main forte aux solistes de l' dans une interprétation lumineuse qui, sous le geste magnétique de , faisait circuler dans ce foisonnement sonore et coloré un fluide énergétique galvanisant.

L' pratiquement au complet se lançait ensuite dans le cycle, inachevé à ce jour, des Speicher (qui veut dire lieu de stockage, grenier) d', dont nous entendions les parties III, IV et V, toutes des commandes récentes de l'Ensemble Intercontemporain. Dans ce projet d'envergure (environ 40′), ambitieux autant qu'exigeant, le compositeur allemand creuse l'idée de croissance organique du matériau sonore au sein de la forme générale, lui permettant de penser le cycle des six pièces prévues selon des chaînes de déductions imprévisibles: un travail formel est mené sur la plasticité des figures et la variété des couleurs selon des répétitions développantes qui sollicitent et stimulent l'écoute. Avec une concentration qui force l'admiration, les musiciens de l'Ensemble Intercontemporain mettaient à l'oeuvre ce lent déploiement de la matière, des manifestations les plus ténues aux déclenchements sonores les plus surprenants: « de toute manière, précise le compositeur, dans un grenier, le désordre finit toujours par prendre le dessus! »…

La projection d'une oeuvre acousmatique dans un concert instrumental n'est jamais très réussie: problème d'écoute, sans doute, privée de son accroche visuelle. Le Poème électronique d' en faisait une fois encore les frais: débutée avant même que le public ait regagné sa place après l'entracte, cette pièce de 8′ – conçue à l'origine pour sonoriser le Pavillon Philipps construit par Xenakis lors de l'exposition universelle de Bruxelles en 1957- était « polluée » par les bruits de la salle et en perdait tout son charme et sa poétique sonore.

Commande du Festival d'Automne et de l'Ensemble Intercontemporain, Drawing tunes et fuguing photos de l'éclectique était donnée en création mondiale et chaleureusement reçue par le public. Cette musique facétieuse, au défilement cinématographique, instaure un espace de jeu plein de rebondissements, dans un éclat de couleurs et de rythmes aussi fugaces qu'éblouissants auxquels conférait une brillance singulière. Brève et tout aussi séduisante, la pièce pour ensemble #9 de met à l'oeuvre un matériau très plastique que le geste instrumental modèle et projette avec une élégance toute chorégraphique.

Le concert s'achevait dans la transe avec l'une des oeuvres les plus impressionnante du compositeur d'Amériques, Ecuatorial. Cette pièce de Varèse pour voix d'hommes et ensemble instrumental, qui renvoie au concept de « primitivisme » dans l'art, véhicule une charge émotionnelle très forte. Elle invitait le pupitre des basses du Choeur de Radio France qui scandait d'une seule voix – jamais assez rugueuse – des extraits du Livre sacré des Maya-Quiché. Le dispositif instrumental inclut l'électricité permettant au compositeur, bien avant son Poème électronique, de projeter le son dans l'espace. Avec ses deux Thérémins – remplacés ce soir par les ondes Martenot superbement jouées par les élèves de la classe du CNSMDP- qui relaient le timbre des autres protagonistes, Varèse dessine ses morphologies sonores avec une virtuosité orchestrale inouïe. Tenue à bras le corps par , cette pièce aux vibrations telluriques trouvait sa résonance idéale dans l'espace, modulé pour la circonstance, de la Salle des concerts.

Crédit photographique : Susanna Mälkki © Simon Fowler

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