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Traviata hyperréaliste et violente à La Monnaie

Pour les fêtes de fin d'année, La Monnaie de Bruxelles propose une Traviata mise en scène par une icône du théâtre allemand radical et avant-gardiste : .

Dès lors, point d'évocations luxueuses du Paris du XIXe siècle, mais une approche hyperréaliste, violente et ultra-contemporaine. Transposée dans notre époque de crises et de scandales sexuels, cette Traviata, ne capitule forcément devant rien pour tenter de suggérer l'hypocrisie et la décadence des mœurs d'une classe dirigeante ne reculant devant aucuns tabous pour satisfaire un appétit sexuel insatiable et distordu.

Les scènes de fêtes sont naturellement prétexte des orgies, volontairement provocatrices, surtout la fête chez Flora, avec son addition d'effets gratuits dont cette très jeune fille destinée à combler les pulsions d'un sinistre individu. L'effet sur un public bruxellois, pourtant habitué aux relectures radicales, fut un tantinet violent et les premières représentations furent semblent-ils houleuses…Elles débouchèrent sur des débats passionnés, forçant même le placide directeur de la maison à intervenir pour calmer le jeu.

Le travail de la metteuse en scène est  pourtant cohérent dans son approche (à condition que l'on y adhère). La caractérisation des personnages est très poussée, même jusqu'à l'excès : de l'immaturité sentimentale d'Alfredo aux ambiguïtés malsaines de son père en passant par la maturité nostalgique de Violetta. Les sentiments, analysés au scalpel, sont exacerbés jusqu'à l'overdose, d'autant plus que l'on retrouve de nombreux tics du théâtre à l'allemande : le chœur relégué dans la fosse, la surexposition de personnages secondaires ou insignifiants (Annina omniprésente), ajouts de gags inattendus plus navrants que drôles. Si l'on peut comprendre le point de la vue d' dans sa dénonciation des travers d'une élite financière vérolée proliférant sur une misère sociale, cette multiplication d'intentions ne provoque d'un ennui distancé car les relectures radicales sont devenues si courantes que cette succession d'effets fait  « Pschhht ! ». A force de voir défiler sur les scènes lyriques le sujet des journaux télévisés, des chambrées de  DSK au flux des filles exploitées par des réseaux mafieux, on se limite à hausser, une fois de plus, les épaules.

La conduite musicale de cette production a curieusement été confiée au besogneux . Si ce dernier ne nous a jamais convaincu dans son cœur de répertoire austro-allemand, que dire de cette incursion très loin de ses bases naturelles ? Si ce n'est qu'elle apparait comme un non-sens absolu. Il se plait à déconstruire le discours avec des tempi lents et lourds. Le discours haché à la machine électrique  est rachitique et sec. La lenteur de la battue devient un bistouri inhumain pour un orchestre, en toute petite forme, qui ne peut masquer ses lacunes actuelles : les cordes sont acides et les cuivres sonnent grassement. Seuls les vents,  concentrés et appliqués, échappent à épidémie de grippe instrumentale. Mais, plus d'une fois, on est surpris de s'ennuyer fermement avec cette direction musicale aussi blafarde que la mise en scène.

Annoncée souffrante, se ménage. Dans un autre contexte, malgré un timbre  plutôt léger ; la chanteuse devrait s'imposer comme une excellente Violetta dont elle possède le magnétisme physique. Très en forme, le ténor français , est un Alfredo de classe à l'énergie communicative et à la voix timbrée et rayonnante. Il s'impose sans peine comme un soupirant de choix. Très présent à La Monnaie, le baryton , peine avec une ligne de chant fatiguée et une instabilité dans les graves du rôle. Les personnages secondaires sont distribués avec compétence mais interprétés avec une certaine distanciation.

Le chœur, excellemment préparé par , est en grande forme et présente une émission parfaite et de belles couleurs.

Cette production bruxelloise ne fera pas oublier sa devancière, réglée par les légendaires Karl-Ernst et , créée en 1987 et plusieurs fois reprises sur la scène de La Monnaie. Ce spectacle était un exemple d'intelligence scénique et d'intemporalité que l'on regrette ici…

Crédits photographiques : © Bernd Uhlig

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