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Deux fois Stockhausen vu par Preljocaj à Garnier

C'est par une invitation de sa compagnie au Palais Garnier, formulée par Rudolf Noureev, que l'aventure Preljocaj a commencé il y vingt ans à l'Opéra national de Paris.

Après y avoir montré son « Hommage aux Ballets Russes », il y crée « Le Parc » pour les danseurs du Ballet. Trois autres créations ont suivi, tandis que d'autres pièces sont entrées au répertoire de la compagnie. Une histoire fertile qui justifie aujourd'hui cette nouvelle étape, franchie avec un programme consacré au compositeur . Ne reculant jamais devant les défis les plus fous, n'a pas hésité à chorégraphier en 2001 sur le Helikopter Quartet du compositeur allemand. La pièce a plu à Stockhausen, qui a invité le chorégraphe à se rendre dans son studio pour travailler ensemble. Une rencontre qui trouve son achèvement dans Eldorado (Sonntags Abschied), créé peu avant la mort du compositeur en 2007.

Le programme exceptionnel qui réunit pour la première fois les deux pièces commence chronologiquement par Helikopter. Aucune concession dans cette pièce exigeante et intense. se saisit de la partition de Stockhausen comme d'une toile blanche, en tension permanente, sur laquelle il construit sa pièce en toute liberté. Face à cette musique ultra-présente, dense et tonitruante, la difficulté est d'inscrire sans redondance une écriture chorégraphique sobre, précise, millimétrée.
Le choix de la confier à six interprètes n'est pas pour rien dans l'équilibre réussi de la pièce. Ce nombre offre de multiples combinaisons possibles : duos, trios, quatuors ou masse compacte de danseurs sur lesquels le chorégraphe peut décliner son savoir-faire, sa maîtrise des corps. Pour cette reprise dans le cadre du programme Stockhausen à Garnier, il a choisi des danseurs expérimentés, solides, comme la magnifique , titulaire du rôle titre dans sa Blanche-Neige, mais aussi Virginie Caussin ou Lorena O'Neill. Les partenaires masculins, plus effacés, sont d'une grande fiabilité et tout aussi remarquables.

D'apparence plus fluide, plus lié, Eldorado (Sonntags Abschied) serait le pendant féminin d'Helikopter. Sa scénographie claire (panneaux et costumes brodés de laine ivoire) en témoigne. L'exercice est au départ un peu appliqué, presque scolaire, ne dégageant pas de prime abord la même énergie et impérieuse nécessité qu'Helikopter. L'écriture prend peu à peu son envol, de plus en plus maîtrisée, implacable, intense. Le rythme rapide sied mieux à ces corps de garçons athlétiques ou à la personnalité de ces filles. Preljocaj va au bout de son idée en proposant un épuisement des sens, une liquéfaction des chairs, en référence à ses pièces des années 90. Bien que le ballet soit totalement abstrait, l'alternance de séquences maintient une forme d'intensité dramatique qui s'apaise à la fin de la pièce. Regagnant les panneaux placés au pourtour de la scène, les danseurs se retrouvent alors auréolés de lumières, êtres de papier ou divinités solaires…

Crédit photographique : Photos © Laurent Philippe / Opéra national de Paris

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