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Déserts de Varèse par Pintscher et l’Intercontemporain

Cinquante-huit ans après sa création, qui fit scandale, Déserts était de nouveau proposé au Théâtre des Champs-Elysées, dans la même salle. Pour accompagner Varèse ont été choisis deux personnages eux aussi essentiels dans l'histoire du Théâtre : Stravinsky et Boulez. Et peut-être pour compenser la très grande envergure de Déserts, les autres œuvres proposées étaient plus intimes, du moins au niveau du nombre d'instrumentistes.

Données comme mise en bouche, les deux partitions de Stravinsky sont du même ton : des miniatures, puis un Concertino (respectivement pour une formation réduite de quinze puis douze instrumentistes). Issues d'un Stravinsky néo-classique – mais dans lequel on retrouve quelques teintes jazz du Stravinsky de l'Ebony Concerto – ces petites touches de musique sont finement ciselées et, au final, malgré leur très courte durée, se suffisent à elles-mêmes. Chacune des Huit miniatures possède une atmosphère  idiosyncrasique, et elles sont très différentes les unes des autres. Les instrumentistes de l' mettent bien ces différences d'esprit en valeur, tout en conservant l'équilibre et la cohérence de l'ensemble. Dans le Concertino, c'est le violon qui est mis à l'honneur, principalement par des solos de doubles cordes accompagnés d'un tapis de vents. Là encore, dans un morceau à formation inégalement répartie (quatre cuivres, six bois, deux cordes) l'équilibre du morceau est préservé pour un résultat tout à fait plaisant.

Dans Le Marteau sans maître, le nombre d'instrumentistes diminue encore – ils ne sont maintenant plus que sept – mais l'œuvre est d'une toute autre ampleur. Même s'il y a peu de véritables fortissimo et peu de moments où les instrumentistes jouent tous ensemble, Le Marteau sans maître tranche avec l'intimité des morceaux précédents : ici, Boulez prend possession de la salle, en particulier grâce à la diversité, en termes de timbre et de caractère, de l'ensemble instrumental – particulièrement hétéroclite – utilisé. Les instrumentistes sont irréprochables, et leur interprétation, entre passages mélodiques et passages percussifs, est encore une fois très équilibrée. La mezzo-soprano fait preuve d'un timbre et d'un ambitus remarquables dans des passages chantés demandeurs. Sans aucun lyrisme, qui aurait été déplacé, elle n'est présente que pour sa – très belle – voix, en véritable instrumentiste.

Après l'entracte, c'est au tour de Varèse. Comme son nom l'indique, Octandre est une oeuvre pour huit instrumentistes : encore une fois une formation réduite, et un format court (moins de dix minutes). Mais, comme on pourrait s'y attendre avec de tels instruments (quatre vents, trois cuivres, une contrebasse), la salle est emplie des appels puissants et des dissonances appuyées de Varèse. Et encore une fois, la poésie vivante cachée dans cette partition apparaît fort bien grâce aux musiciens de l'. Puis, en guise de clou du spectacle, Déserts. Ici, Varèse reprend l'atmosphère et certaines idées développées dans Amériques, mais en allant beaucoup plus loin. En particulier, l'interpolation de bandes magnétiques basées sur des enregistrements de bruits d'usines américaines joue le rôle de miroir vis-à-vis des passages purement instrumentaux, dans une composition qui prend alors tout son sens. Un demi-siècle après le scandale, un consensus s'est créé autour de Déserts, qui a atteint maintenant le statut mérité de chef-d'oeuvre : cela s'est bien vu dans la salle, où l'oeuvre fut acclamée, tout autant que l'interprétation des musiciens et que la direction de . Le chef, qui sera directeur musical de l'Ensemble à partir de la saison prochaine, propose une direction dans la lignée de celle de Susanna Mälkki, l'ancienne directrice : carrée, précise, sobre et efficace. Il y a ajouté ici néanmoins un petit côté dansant – notamment dans Stravinsky – qui n'était pas pour nous déplaire.

Crédit photographique : /Jean Radel

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