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Quartett de Luca Francesconi en version de concert

Pour son dernier concert sur la scène parisienne en tant que chef titulaire de l', , prenant le micro en début de soirée pour saluer et remercier son public, dirigeait en version concertante Quartett, le dernier opéra du milanais , qu'elle a crée en avril 2011 à la Scala de Milan avec les forces vives de l'Orchestre de la Scala et la technique .

Saisissant par l'efficacité des moyens qu'il met à l'œuvre – puissance du verbe, flamboyance de la vocalité, écriture de l'espace – l'ouvrage de Francesconi convoque à l'origine, en sus d'un concertino d'une vingtaine d'instrumentistes, un orchestre et un choeur dissimulés en fond de scène. Ils ont été enregistrés lors de la représentation milanaise et étaient projetés ce soir, par le biais du Spatialisateur , à travers un dispositif d'écoute prévu également pour la transformation du son en temps réel. Le compositeur était aux manettes de la console de mixage pour assurer cet équilibrage des sources, délicat et essentiel, qui participe de l'écriture même de la partition. La Salle des Concerts s'est avéré l'écrin idéal pour faire vivre cette nouvelle aventure technologique dont et l', en phase avec la réalisation informatique, contribuaient avec brio à la réussite.

Héritier d'une ascendance musicale tournée vers la voix – rappelons qu'il a été l'assistant de n'en est pas à son premier ouvrage lyrique. Dans Quartett, il fait appel à la pièce de théâtre éponyme du dramaturge , fort plébiscité par les compositeurs, (Dusapin, Rihm, Aperghis, Goebbels…) qui conçoit en 1980 une réécriture, en allemand, du roman épistolaire les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Les deux protagonistes, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont s'y affrontent dans une joute verbale sans merci où il est bientôt question de deux autres personnages, Madame de Tourvel et Cécile de Volanges: c'est un quatuor donc qui se dessine à l'intérieur d'un duo, les deux acteurs sur scène endossant différents rôles, Merteuil se met à jouer Valmont et réciproquement, Valmont devient Mme de Tourvel… «  Je crois que je pourrais m'habituer à être femme… » lance-t-il au coeur de cet affrontement cynique et sadique dont les volte-faces et le jeu de miroirs construit un espace-temps fluctuant et chaotique.

Francesconi retaille à sa mesure le texte de Müller et le traduit en anglais, une manière de sortir de l'empreinte sonore des mots allemands et de modeler une vocalité à sa convenance dans une nouvelle langue. Chez ce compositeur italien, la voix toujours virtuose se déploie avec ampleur et générosité sans jamais renoncer à la compréhension du texte. Le jeu des masques assumé par les chanteurs amène Valmont – le baryton exceptionnel – à exploiter sa voix de fausset tout comme Merteuil – la soprano très impressionnante – peut assombrir ses couleurs dans un registre dramatique très profond. Francesconi fait appel aux techniques de transformation en temps réel – chanteurs et instrumentistes sont tous munis de micro-capteurs – pour jouer très finement sur le grain de la voix et son expressivité dans cette ambiguïté des rôles. L'écriture instrumentale, quant à elle, foisonnante et incisive, et dont les musiciens détaillent toutes les nervures, prend en charge la dramaturgie dans un climat d'affrontement et de violence très intense.

Mais ce huit-clos claustrophobe – le peep-show selon Francesconi, métaphore de la condition occidentale dans sa cruauté – , s'inscrit périodiquement dans un contexte beaucoup plus vaste – les « dreams » et leur ambiance colorée – moments de respiration suspensifs et immobiles très émotionnels durant lesquels le chœur et l'orchestre creusent la profondeur de champ; l'espace est ainsi démultiplié et modifie radicalement la position d'écoute du spectateur: « Nous croyons observer cette sorte de vivarium de l'extérieur et en toute sécurité […] écrit le compositeur dans sa note d'intention, mais peut-être quelqu'un nous observe-t-il».

Quartett est cette mise en abyme théâtrale dont Francesconi opère en virtuose la démultiplication infinie à travers un jeu de masques subtil et une dramaturgie des espaces dont l'outil électronique est ici le maître d'œuvre.

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