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Chute d’une création à Paris

Jusqu'à présent pour écouter du John Adams et voir des images de jeu vidéo il suffisait de jouer à Civilization IV ® (ce jeu reprend deux extraits de Nixon in China en musique d'accompagnement). Grâce à Radio France et sous couvert d'une bonne action pour l'UNICEF, ceci a pris la forme d'un opéra titré La Chute de Fukuyama. Sauf qu'en jouant on s'amuse. A Pleyel ce soir là on s'ennuyait ferme.

Le propos, prétentieux et noyé dans un fatras pseudo-philosophique post-new age, reprend les prédictions de Francis Fukuyama parues en 1989 dans la revue The National Interest (The End of the History?) puis dans un essai daté de 1992 : La Fin de l'histoire et le dernier homme. L'auteur, philosophe et économiste, considéré comme un proche des néo-conservateurs qui ont accompagné Georges W Bush, y reprend le concept de « fin de l'histoire » tel que l'avait théorisé Hegel dans La Phénoménologie de l'esprit. Selon Fukuyama, la fin des dictatures européennes et sud-américaines, la chute du Mur de Berlin et la fin du Bloc de l'Est signifie une hégémonie mondiale de la démocratie et de l'économie libérale, rendant tout conflit improbable. Le 11 septembre, la seconde guerre d'Irak a mis a mal ses propos, la fin de la présidence Bush l'a définitivement disqualifié.

, dans le programme de salle, veut prendre pour exemple les opéras de John Adams basés sur l'actualité. Tout le monde sait qui sont Richard Nixon et Mao Zedong. Qui sait qui est Francis Fukuyama ? Ce pourrait-être un personnage fictif, créé pour l'occasion, cela n'aurait pas changé grand chose. L'effet de distanciation avec la réalité est donc raté. Pour narrer cette ascension et cette chute, Camille de Toledo a conçu un livret inepte, inspiré des travaux d'Alice Goodman et Peter Sellars pour John Adams – décidément le dieu tutélaire de cette soirée – en six langues, procédé éculé pour signifier l'universalité du propos. Fukuyama mis à part, les autres personnages sont des créations fictives, sans identités – autre procédé usé jusqu'à la corde- et caricaturaux (la Pythie « couverte de cendres » !). Ceux-ci se laissent aller à leurs pensées et souvenirs le jour du 11 septembre 2001.

Pour « augmenter » la « puissance » du livret, Camille de Toledo a conçu des images vidéos qui loin de contre-pointer les paroles, les doublent inutilement. Encore faut-il appeler cela « création » : on y voit des personnages dignes des Sim's ® entrecoupés d'images d'actualités du 11 septembre. La musique de est du même acabit : John Adams est loin d'être une influence revendiquée, c'est tout simplement de la copie en bonne et due forme. La scène 3, celle où le monde entier – en l'occurrence des voyageurs, dont Fukuyama, coincés dans un aéroport – apprend les attentats du 11 septembre est à la note près une reprise du chœur militaire introductif de Nixon in China. La technique GRM est utilisée très parcimonieusement, trop même… L'orchestration, qui souvent couvre les voix (en raison de l'écriture, pas des musiciens), laisse à désirer : il n'y a pas que des cordes dans un orchestre, et les vents ne sont pas là pour donner une couleur supplémentaire. L'écriture vocale est aussi mal conçue : la partie de choeur est extrêmement tendue, celle des solistes redoutablement difficile. Pour un résultat final plus que mitigé.

Le plateau a réagi professionnellement face à ce fatras : rien ne peut leur être reproché. Les quatre solistes relèvent exceptionnellement le défi de servir cette partition ennuyeuse et inchantable, avec une mention spéciale pour et la stupéfiante . L'ensemble vocal Aedes se débrouille pas trop mal dans cette impossible écriture chorale. Le Philharmonique de Radio France sait garder en toutes circonstances ses meilleures sonorités sous la direction très précise de , à qui compositeur et librettiste doivent une fière chandelle : les avoir sauvés du désastre.

Crédit photographique : © Haydey Madden

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