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Coffret Columbia : des gravures américaines légendaires

En un superbe petit coffret de 28 disques, Sony rassemble une partie des rééditions en CD « Masterworks Heritage » parues fin des années 90 et consacrées à des gravures marquantes de la Columbia américaine (CBS) remontant aux tout débuts de l'ère acoustique (1903) jusqu'aux années 60. Nous précisons bien « une partie », car contrairement à certaine publicité faite pour cet album, il ne s'agit pas ici de « l'intégrale de la célèbre série », puisqu'y font défaut non seulement tous les disques exclusivement vocaux (mettant en vedette des chanteurs légendaires tels que Eileen Farrell, Lotte Lenya, George London, Lily Pons, Paul Robeson, Bidu Sayão, Eleanor Steber, Richard Tucker, Ljuba Welitsch), des opéras ou comédies musicales (Grand Opera Series de Columbia en 1903, Così fan tutte de Mozart, La Bohème et Madama Butterfly de Puccini, Wozzeck de Berg, Porgy and Bess de Gershwin, Lady in the Dark de Weill), mais également certains enregistrements instrumentaux tels que les Columbia Américains (1942-1952) de Sir Thomas Beecham, des Symphonies de Haydn et des pages de par , Stravinsky dirigeant Stravinsky (les années mono 1952-1955), des œuvres de Gabrieli pour cuivres…

Ceci dit, quelles que soient les limites de ce coffret hautement désirable, il est plus que probable que Sony en publiera un deuxième, voire un troisième pour rendre à nouveau disponibles les gravures manquantes. Ainsi seront comblés non seulement les amateurs de gravures historiques restaurées de manière particulièrement exceptionnelle, mais tous les mélomanes en général, d'autant que l'éclectisme des œuvres proposées et la diversité des interprètes en sont également des atouts supplémentaires.

C'est ainsi que le chef d'orchestre légendaire George Szell (1897-1970) y est le mieux représenté, avec 7 CDs dont deux consacrés à l'intégrale pionnière des Symphonies de Schumann (1958-1960), deux à son étonnant arrangement orchestral du Quatuor à cordes n°1 « De ma Vie » de Smetana (1949) et aux trois dernières Symphonies de Dvořák (1958-1960), un à la Symphonie n°5 en si bémol majeur op. 100 de Prokofiev (1959) et au Concerto pour orchestre de Bartók (1965), et enfin deux où il se révèle idéal partenaire à l'admirable pianiste Leon Fleisher dans les deux Concerto pour piano de Brahms (1958-1962) en des interprétations parmi les plus abouties de toute l'histoire du disque. Rappelons que George Szell fut le premier à nous offrir toutes en stéréo sa superbe intégrale des Symphonies de Schumann, suivant de peu celle de Paul Paray chez Mercury (décembre 1953 – mars 1958) mais dont la seule Symphonie n°4 fut gravée en mono. Toutefois il est absolument inadmissible que le Hongrois George Szell se soit permis d'amputer sans raison valable les mesures 426 à 555 du Finale du Concerto pour orchestre de son compatriote Bartók, ce qui discrédite d'emblée sa version !…

Un autre grand chef bien représenté ici est (1896-1960), avec 4 CDs : aidé du , il fut un flamboyant partenaire de dans cette belle série de Concertos pour violon de Mendelssohn, Bruch, Saint-Saëns, Tchaïkovski et Prokofiev (1950-1954) ; plus remarquable encore fut sa collaboration avec en janvier 1956 pour la première gravure mondiale du Concerto pour violon n°1 en la mineur de Chostakovitch, alternative tout aussi exceptionnelle à la version contemporaine Leningrad–Mravinski (novembre 1956). Enfin, avant d'être chef du de 1949 à 1957, le fut du Minneapolis Symphony de 1937 à 1949, avec lequel il nous a notamment laissé cette fulgurante version de la Symphonie n°1 « Titan » de Mahler (1940), bien avant celle de – New York (1954) également présente ici pour de passionnantes comparaisons, toutes deux faisant partie des vrais miracles du disque.

Tout comme son compatriote George Szell, (1888-1963) était de ces chefs exigeants au plus haut point : célèbre pour avoir élevé le Chicago Symphony à son apogée, c'est toutefois à la tête du Pittsburgh Symphony (de 1938 à 1948) que nous l'entendons ici, avec des qualités de sévère maîtrise tout aussi évidentes, notamment dans la Symphonie n°6 en si mineur op. 54 de Chostakovitch gravée en mars 1945. D'un tout autre caractère, c'est avec joie – n'en déplaise aux puristes – que nous retrouvons (1882-1977) et son successeur (1899-1985) à Philadelphie, dans leurs arrangements orchestraux respectifs d'œuvres de Bach en glorieuse stéréo de 1957-1960. Par ailleurs, Ormandy est le partenaire inspiré de (1903-1991) dans un programme Liszt (1952), de (1899-1972) dans le Concerto pour la main gauche de Ravel (1947), du légendaire (1903-1976) dans le Concerto pour violoncelle n°2 en si mineur op. 104 de Dvořák (1946), et de (1927-2007) dans la première gravure mondiale du Concerto pour violoncelle n°1 en mi bémol majeur op. 107 de Chostakovitch (1959).

Toutefois, l'un des plus beaux disques de ce coffret est sans hésitation celui consacré à (1910-1981) par l'un de ses défenseurs les plus passionnés, le regretté (1930-1977), disparu bien trop tôt : chacune de ses interprétations est d'office une référence, même pour le célébrissime Adagio pour cordes. Mentionnons enfin un excellent programme de musique française (Roussel, Honegger, Milhaud) honorablement défendu par en 1961-1962.

Côté instrumental, on applaudira à la spontanéité naturelle des premières moutures (origine 78 tours) de Quatuors à cordes de Beethoven par le légendaire Quatuor de Budapest ; on sera subjugué par la virtuosité éblouissante du violoniste Michael Rabin (1936-1972) qui toutefois ne parvient pas à cacher une absence de style évidente, pour néanmoins souligner qu'il a effectué ces gravures entre mai 1950 et janvier 1953, c'est-à-dire entre 14 et 16 ans !… Ce problème ne se pose guère pour Ossy Renardy (1920-1953) dont on se souvient incidemment d'un superbe Concerto pour violon de Brahms dirigé par Charles Munch (Decca), et surtout pour Eugène Ysaÿe (1858-1931) dont il est à peine croyable que le disque nous révèle ces témoignages à la fois au violon et à la direction du Cincinnati Symphony qu'il dirigea entre 1918 et 1921, musique à l'état pur, à peine entachée de la précarité des gravures acoustiques (entre 1912 et 1919).

Et à propos de musique à l'état pur, quel bonheur de retrouver le pianiste français (1899-1972), dans cette subtile intégrale de la musique pour piano de Ravel, avec lequel il a étudié chacune de ces pages merveilleuses, et dont il est incompréhensible que cette réalisation soit moins connue que certaines autres qui sont pourtant loin d'être de même niveau…

N'hésitez donc pas à vous procurer ce beau coffret superbement présenté et qui reprend dans sa luxueuse plaquette de 96 pages les textes intégraux des 28 CDs originaux : son audition vous procurera des joies sans limites, par la diversité des œuvres, la crème des interprètes et le savoir-faire technique de la Columbia américaine, en des restaurations sonores d'une incomparable qualité. Peut-on espérer le reste de la série « Masterworks Heritage » ? …

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