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Aldo Ciccolini signe un nouvel album atypique et captivant

À mille lieux de la valse viennoise, c'est un disque à l'esthétique résolument française que nous livre ici . Du Feuillet d'album de Chabrier à la Valse lente de Tailleferre, les pièces se succèdent sur le mode du souvenir tandis que de brèves incursions romantiques ne font que renforcer cette douce mélancolie : sous les doigts de n'importe quel autre pianiste, cet album aurait pu devenir une juxtaposition de demi-teintes, expressives certes, mais légèrement ennuyeuses. Pourtant, indéniablement, le charme opère. (On soulignera à cet égard l'ingéniosité des enchaînements et la diversité des compositeurs habilement choisis.)

Dès la première écoute, on est subjugué par ce toucher d'une grande finesse et ce son généreux si caractéristiques. À aucun moment, ne cède à la tentation de dramatiser le texte ou de multiplier les affects : il en résulte ainsi une Valse de Chopin très épurée et une ligne d'une grande noblesse que la maturité a rendu encore plus touchante (les valses de l'opus 34 figurent en effet parmi les premiers enregistrements du pianiste, en 1957). Avec l'ironique Viennoise de Pierné, l'atmosphère s'allège et l'on croit entendre un savoureux mélange de Milhaud, de Ravel – grand absent de ce disque! – le tout parsemé de quelques échos de music-hall : si la séduction est bien présente, la vulgarité est toujours soigneusement tenue à distance.

Après un Grieg plein de retenu, c'est au tour de Satie d'agréablement nous surprendre : sa valse  Je te veux est sensuelle sans jamais devenir sirupeuse ; la mélodie, qui ne renie pas ses origines « cabaret » est néanmoins phrasée avec beaucoup de distinction. Bref, on est admiratif devant ce parfait équilibre (puis, l'on se rappelle soudain que A. Ciccolini a enregistré l'œuvre pour piano de Satie chez EMI et l'on comprend pourquoi). Dans la même veine, la Valse romantique de allie le charme d'un thème populaire et le raffinement des couleurs, ce sont d'ailleurs ces mêmes qualités que l'on retrouve dans la Kupelwieser-Walzer de Schubert (harmonisée par R. Strauss) : le chant s'épanouit avec une telle plénitude que la simplicité du texte trouve alors tout son sens. À l'instar de la célèbre Valse triste de Sibelius -qui ne sombre jamais dans la sensiblerie- ou de la Valse de Brahms, galante et sans mièvrerie, La plus que lente évite avec brio le piège de la « rengaine » : ainsi, la pédale irréprochable -ni trop sèche, ni trop « impressionniste »- souligne les harmonies debussystes tandis que la main droite offre un legato stupéfiant de sensualité.

Si l'on émet une légère réserve quant à la Valse très lente de Massenet où l'on aurait aimé un tempo un peu moins statique, la Valse-caprice de Fauré est éblouissante de clarté et d'aisance : un véritable feu d'artifice. Enfin, c'est sur une note nostalgique et quelques harmonies flirtant avec le blues que s'achève ce très beau disque : signe une interprétation d'une rare élégance avec cette Valse lente de la (trop) méconnue . À écouter d'urgence !

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