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Metz, The Indian Queen revisitée

En raison du principe même de leur construction, les « semi-operas » de Purcell sont par définition extrêmement difficiles à monter. Cela est vrai tout particulièrement de The Indian Queen, ouvrage composé à partir d'une pièce de théâtre notoirement indigeste, dont la simple lecture serait un supplice pour le spectateur contemporain.

Le parti-pris du metteur en scène a donc été de restructurer et de recontextualiser entièrement la vieille tragédie héroïque de Robert Howard et de John Dryden, en attribuant aux personnages du drame la musique qui dans la pièce originale ne leur était pas destinée. On le sait, les parties musicales des « semi operas » du XVIIe siècle n'étaient investies d'aucune fonction dramatique à proprement parler. Les Acacis, Orazia et Zempoalla du drame se voient donc attribuer les morceaux musicaux qui dans l'original étaient interprétés par des personnages extérieurs à l'action. Le chef d'orchestre a par ailleurs ajouté à la partition d'autres extraits, tout aussi remarquables musicalement, de partitions de (Ode à Sainte Cécile, Dioclesian, The Tempest, Ode funèbre pour la reine Marie, etc.).

L'intrigue de la pièce originale se trouve donc considérablement modifiée, même si l'on y retrouve quelques-uns des ingrédients qui la composaient : quelques personnages, le contexte conflictuel de l'œuvre, le drame familial, les thèmes de la vengeance, de la culpabilité… Mais las ! Force est de reconnaître que telle qu'elle est présentée, l'action se déroulant sous les yeux du spectateur reste incompréhensible – et cela malgré la présence de surtitres – pour quiconque n'aurait pas lu le synopsis du metteur en scène. La confusion résultant de cette réécriture se voit encore accrue par l'adjonction d'une deuxième action, dite dans la note du metteur en scène l'« action réelle », celle qui relate les tribulations d'une certaine Marie Rivière et de son ami Henry – tiens donc ! – lors d'un voyage au Pérou non loin d'un endroit imaginaire nommé Acaputalcan. Les deux touristes, accompagnés de leur guide, tombent dans un trou et se retrouvent dans une grotte rappelant l'époque des Conquistadors. Leur perception des choses, troublée par ce double voyage dans le temps et dans l'espace, les conduit à croiser dans cet univers fantasmagorique de l'action dite « imaginaire » autant de doubles et de sosies dans lesquels ils reconnaissent une vision déformée de leur propre monde et de leurs propres préoccupations.

Certes, cette lecture duelle n'est pas incompatible avec les contextes historiques de The Indian Queen, ouvrage qui lui aussi, dans sa version originale, confrontait deux univers à la fois identiques et opposés. On saura gré également au metteur en scène d'avoir su adapter et recycler des éléments de la pièce du XVIIe siècle, vaillamment insérés dans ce nouveau cadre. Il n'en reste pas moins que le spectacle proposé au public pose de graves problèmes de lisibilité, et dans de telles conditions on est en droit de se demander s'il ne dessert pas l'ouvrage plutôt qu'il ne le défend. Qu'il ait compris ou non les intentions de la mise en scène, le public aura pu néanmoins apprécier la beauté troublante d'un décor inversé dans tous les sens du terme, où les acrobates marchent au plafond, symbole sans doute de la confusion et de la perte des repères censés caractériser les personnages des deux histoires se déroulant sous nos yeux. On dira, pour tenter d'excuser un spectacle dont la cohérence nous échappe, que l'incompréhension qu'il génère est le reflet de l'état d'âme des personnages dans un univers dont ils ne possèdent ni les codes, ni les clés.

Sur le plan musical, les choses sont dieu soit loué moins déroutantes, grâce notamment à la direction ferme et nerveuse d' à la tête de son Concert Spirituel. Le chef sait également tirer de son ensemble les sonorités les plus troublantes et les plus sensuelles. D'un solide plateau de chanteurs, se détache tout particulièrement la remarquable voix de haute-contre d', et l'on pourra noter également le très joli soprano de . Le ténor fait valoir d'admirables biscoteaux, ainsi qu'une voix petite mais assez joliment timbré. Prestations honorables également de la mezzo et de la basse Marc Labonnette.

Ce spectacle déconcertant pour les esprits cartésiens, fort heureusement sauvé par la restitution musicale, aura valu le soir de la première quelques huées de la part d'un public généralement plutôt docile. Sans doute une version de concert aurait-elle fait tout aussi bien l'affaire.

Crédit photographique : © Éric Manas

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