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Les adieux du Quatuor Ysaÿe

Trente ans. Et le tire sa révérence. Ce fut en 1984 que quatre étudiants du Conservatoire de Paris fondèrent un quatuor à cordes qui allait changer le paysage musical en France. Le premier prix au Concours d'Evian le propulsa sur la scène internationale en 1988, puis il créa la classe du quatuor au Conservatoire de Paris en 1993, ce qui était une nouveauté absolue à l'époque. Excellents pédagogues, ils formèrent de nombreux jeunes ensembles, aujourd'hui reconnus dans le monde entier, tels que les Quatuors Ebène, Modigliani ou Voce.

Pour l'ultime concert de cette prestigieuse formation, la Salle de concert de la Cité de la Musique est archi-pleine, jusqu'à la moindre place sur les galeries. Des toux habituelles fusent entre les mouvements de la première pièce, le Quatuor de Debussy, puis va s'installer un silence religieux, dans une atmosphère à la fois tendue et chaleureuse où chaque auditeur est attentif à ne pas manquer une seule note.

Le concert débute donc avec le Quatuor de Debussy, créé par le quatuor belge Ysaÿe (avec Eugène Ysaÿe au violon) à la fin de 1893 à Paris. Jeux de couleurs subtiles, dans un ton tantôt déterminé tantôt doux, le tout avec une très belle sonorité. Le mouvement lent, surtout, d'une rare beauté, est empreint de sérénité et de recueillement. L'interprétation de la deuxième pièce, le dernier Quatuor de Beethoven, fait écho à la fameuse interrogation inscrite sur la partition : « Musse es sein ? Es musse sein ! (Le faut-il ? Il le faut !) ». Ce soir, la réponse « Il le faut » prend tout son poids, comme pour affirmer qu'il faut s'arrêter à tout jamais. Les deux mouvements médians, le « Vivace » assez bref avec ses syncopes accentuées et le « Lento assai, cantabile e tranquillo » aux harmonies paisibles, dont l'interprétation souligne le contraste entre le caractère enjoué d'une part et une grande sérénité de l'autre, marquent fortement l'esprit des auditeurs. La participation d' dans le Quintette de Mozart confère une nouvelle fraîcheur à l'ensemble ; l'exécution est légère, joyeuse, harmonieuse et noble.

Après cette longue première partie qui a duré près de deux heures, deux grandes pièces nous attendent encore pour la seconde partie. Dans le Quintette de Fauré (dédicacé à Eugène Ysaÿe et lui aussi créé par son Quatuor, avec le compositeur au piano), les Ysaÿe n'auraient jamais trouvé meilleur partenaire que , éminent interprète des œuvres du compositeur. L'élégance de la progression harmonique, la fluidité pianistique, une certaine gravité des cordes, résultant d'un intense dialogue entre les cinq instruments, concrétisent une sorte de quintessence de la musique française. La manière de mener la musique jusqu'au point culminant du finale est très efficace et chargée d'émotion, tout comme l'accalmie de l'extrême fin. Dans l'ultime pièce jouée, La Nuit transfigurée de Schoenberg, avec et , les quatre musiciens d'Ysaÿe deviennent eux-même musique, traversant toutes les expressions, passant de la souffrance ou de l'angoisse à la tranquillité et au bonheur temporel pour aboutir enfin à la sublimation de l'âme. Leurs archets nous font vivre un moment intense et profond, où alternent une inquiétude indéfinissable, une douceur grave, une exaltation enivrante, un émerveillement inconditionnel, et une intériorisation de tous ces vécus. A plus de minuit, la musique du a transfiguré une soirée qui ne reviendra jamais plus.

Crédit photo : © Gerard Rondeau

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