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Gstaad, la musique aux sommets

Créé en 2001, le festival des Sommets musicaux de Gstaad, consacré à la musique de chambre, se déroule pendant la période hivernale de cette station de ski huppée située sur la frontière linguistique entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Cette année étaient à l'honneur, sous le titre « l'aigle à deux têtes », les duos de pianistes, à quatre mains sur un ou deux claviers. Les concerts, deux par jour, se déroulent dans un rituel immuable : l'après-midi dans la petite chapelle de Gstaad sont présentés les jeunes talents, le soir dans les églises de Saanen ou Rougemont ont lieu les prestations des artistes reconnus. Chaque année un (en l'occurrence deux pour 2014) instrumentiste est « parrain » de la manifestation et aide à la programmation artistique, un compositeur en résidence est convié et de jeunes ensembles ou instrumentistes se voient décerner des prix. Au delà de la récompense, ces prix sont doublés d'un accompagnement de carrière.

Sanja et Lidija Bizjak © Miguel Bueno

Sur les trois derniers jours du festival, les après-midi à quatre mains à la chapelle de Gstaad ont permis de découvrir trois jeunes duos de pianistes, tous frères ou soeurs. Le 6 février les soeurs Beraia (Natia et Tamar) ouvraient la journée avec deux grands classiques, la Petite suite de Debussy et la Fantaisie en fa mineur de Schubert, alliés à Mozart (Sonate en ré majeur K381) et une sélection de Danses hongroises de Brahms. Force est de constater que ce duo venu de Géorgie aborde ces oeuvres avec force, occasionnant quelques décalages et une manie de « taper » sur le clavier qui fait rapidement saturer l'espace sonore et prive tout relief sonore. Le lendemain les soeur Bizjak (Lidija et Sanja), bien connues en France où elles ont terminé leurs formations de pianiste (commencées à Belgrade) et où elles résident, offraient une prestation radicalement opposée. Mozart encore, avec l'Andante et variations K501 mais aussi des extraits de Daphnis et Chloé de Ravel (réduction de Léon Roques) laissent apparaître un travail précis et délicat des plans sonores et des nuances. C'est toutefois avec le Sacre du printemps que les soeurs Bizjak donnent le meilleur d'elles-mêmes : tout y est, de la précision technique la plus fine à une interprétation musclée et engagée. Enfin le dernier jour du festival permettait de découvrir les frères Gerzenberg (Daniel et Anton), « filleuls » musicaux de Martha Argerich formés à Hambourg. Si la Sonate en ut mineur de Joseph Rheinberger n'apporte rien à la littérature à quatre mains, la réduction du Carnaval des animaux, jouée à toute vitesse, supporte très bien la transposition, d'autant que l'oeuvre était rehaussée de courts poèmes humoristiques écrits et récités par Daniel Gerzenberg.

Adrienne Soós, , , et Ivo Haags © Miguel Bueno

Les concerts du soir ont permis d'applaudir le 6 février en l'église de Rougemont un duo de piano malheureusement trop rare en France, celui d'Adrienne Soós et Ivo Haags. Après un Chopin (Rondo pour deux pianos en ut majeur) en guise d'agréable mise en bouche et un peu convaincant (en raison de l'écriture et non de l'interprétation) Introduction et allegro de Ravel qui supporte mal la transcription à deux claviers, le duo Soós-Haags proposait aussi une version débridée et virtuose à souhait des Variations Paganini de Lutoslawski. En alternance pendant le même concert le duo  et interprétait trois extraits de Casse-Noisettes de Tchaïkovski (dans la transcription de Nicola Economou) joués avec verve. Les quatre pianistes se sont rejoints dans une très curieuse (et assez peu intéressante) oeuvres de Moscheles, Les Contrastes, pour deux pianos et huit mains. Exécution techniquement parfaite d'une oeuvre extrêmement pianistique mais dont l'intérêt musical laisse dubitatif. Le duo Soós-Haags était enfin rejoint par le corniste et les violoncellistes et pour un Andante et variations de Schumann d'anthologie. Le lendemain soirée symphonique à l'église de Saanen avec la , orchestre venu de Stuttgart dirigé par le très bavard – qui n'a pas pu s'empêcher de faire de longs discours lors des changements de plateau. Le duo formé par Aglika Genova et Liuben Dimitrov, artistes en résidence du festival, a proposé un Concerto en mi bémol majeur K365 de Mozart alliant finesse et puissance, avec en bis les Hémiones extrait du Carnaval des animaux. La soirée proposait, toujours de Mozart le Concerto pour hautbois avec le jeune et (très) virtuose et une ouverture Coriolan de Beethoven passablement exécutée. Le concert final du festival donnait sa place à l'instrument à l'honneur pour l'édition 2015, la harpe, et à son futur artiste en résidence, . Accompagné par une Academy of St Martin-in-the-Fields en grande forme – qui commençait le concert avec une lecture débridée de la Symphonie n°17 de Mozart – le harpiste a joué deux concertos d'affilé, celui de Mozart – le n°19 pour piano transcrit par ses soins – et le Concertino pour harpe et cordes de Parish-Alvars. Si Mozart sonne bien à la harpe, force est de constater que l'équilibre sonore est délicat à mettre en place et que les effets à la main gauche ne sont pas pleinement rendus, malgré l'évidente virtuosité du soliste. L'oeuvre de Parish-Alvars, écrite par et pour un harpiste, met le soliste bien plus en évidence dans une écriture salonnarde du XIXe au charme suranné.

© Miguel Bueno

L'ensemble de ces concerts (sauf pour le et le dernier) proposait des oeuvres du compositeur en résidence . Né dans l'ancienne URSS où il a fait ses études musicales (composition, piano, direction d'orchestre) et obtenu ses premières fonctions importantes, il vit depuis deux décennies en Israël. Volonté de se débarrasser du formalisme en cours lors de sa formation ou influence cosmopolite de son pays d'accueil, la musique de Yusupov hésite entre une écriture très structurée visant la mise en valeur des instrumentistes et un langage musical néoclassique où les mélismes orientaux sont mis de force dans le système tonal occidental. La pièce interprétée par le (tout un cycle intitulé Cultures du passé retraçant la « Route de la soie » a été conçu pour les quatre mains de l'après-midi, chaque pièce représentant une étape du voyage) Perse séduit par sa recherche sonore sur la harpe du piano. Les deux épisodes suivants, joués par les duos Bizjak (Inde) et Gerzenberg (Mongolie-Istanbul) sont nettement moins convaincants, proposant des mélodies vaguement orientales habillées dans une harmonie tonale et tempérée. Le 7 au soir la proposait aussi Gabriel pour orchestre. L'oeuvre met en valeur chaque pupitre et démontre une véritable science maîtrisée de l'orchestration à défaut d'inspiration.

Chaque festival des Sommets musicaux décerne deux prix parrainés par les mécènes. Le Prix de la Fondation Pro Scientia et Arte, qui s'accompagne d'un enregistrement discographique avec orchestre (Orchestre philharmonique de Stuttgart, label Onyx), a été décerné au . Le Prix André Hoffmann, d'une valeur de 5000 CHF, récompense la meilleure interprétation des oeuvres du compositeur en résidence et a été attribué au (Lok Ping Chau et Lok Ting Chau), venues de Hong-Kong.

Rendez-vous en 2015 autour de la harpe. Toujours au sommet.

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