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La Salle Pleyel soulevée par les Gurre-Lieder dirigés par Salonen

C'est à un véritable événement musical que nous conviait la Salle Pleyel puisque l'œuvre jouée ce soir, les fameux Gurre-Lieder d', se fait plutôt rare dans la programmation des institutions symphoniques, qui regardent sans doute à deux fois avant d'engager cent cinquante musiciens, à quoi s'ajoute six solistes vocaux et un chœur mixte. Non seulement le coût d'une telle représentation est forcément plus élevé que pour un classique concert d'abonnement, mais la difficulté de la partition, d'une richesse et d'un raffinement aussi extrêmes que sa complexité, font qu'on ne joue pas une telle musique en mode routine.

En choisissant le chef pour mener ses troupes à la conquête du graal schönbergien, l'orchestre de Radio-France a certainement fait le bon choix, en tous cas sur le papier, un des meilleurs possibles aujourd'hui. Autant dire qu'on attendait beaucoup de cette unique soirée, et disons-le d'emblée, nous n'avons pas été déçus. Évidemment il était difficile de ne pas être saisi par l'ampleur des forces en présence dès l'entrée dans la salle, déclenchant chez l'auditeur une excitation annonçant qu'il n'y aurait rien de banal dans ce qu'on allait entendre. De la droite vers la gauche on pouvait compter douze contrebasses, seize violoncelles et autant d'altos, et quarante violons. Soit rien moins que quatre-vingt quatre cordes, l'orchestre complet pour une symphonie de Tchaïkovski n'est pas plus nombreux. Au fond du podium régnaient onze percussionnistes et devant eux cinquante souffleurs. Et pour faire bonne mesure, quatre harpes et un célesta. Ce colossal effectif allait être utilisé par Schoenberg avec toute l'étendue possible, de l'intervention soliste au groupe à l'unisson en passant par des divisions par deux et parfois plus. Autant dire qu'il fallait une concentration sans faute pour réussir et de ce point de vue l'orchestre fut exemplaire. Peut-être trop, car cela s'est traduit parfois par un sentiment précautionneux qui ne libérait pas totalement les musiciens, un peu fébriles au tout début, trouvant plus d'assurance dès les premières minutes passées, et culminant dans une remarquable troisième partie. Et peut-être, effet de l'inhabituel sureffectif, la musique n'a pas sonné avec tout le chatoiement ou le raffinement qu'elle pourrait offrir, mais le niveau atteint était déjà superbe. On ne peut d'ailleurs qu'admirer la façon dont le chef a réussi à doser les équilibres sonores, respectant toutes les nuances dynamiques, ne saturant jamais l'espace sonore même dans les tutti, du moins entendus du premier rang du premier balcon. Ne donnant jamais la sensation de forcer le discours, le chef « laissa » la musique s'écouler avec évidence et naturel, apportant à chaque section un climat propice sans jamais rompre la continuité de l'œuvre.


Contrairement au Chant de la Terre dont les lieder successifs ont leur propre autonomie, ceux réunis ici racontent une même histoire, comme à l'opéra, avec un format vocal plutôt wagnérien. Le casting ne manqua pas de qualité même si elles furent inégales. La jeune Tove trouve en une interprète plus solide que douce et fragile, qui emporta l'adhésion par son engagement et sa capacité à rester vivante du pianissimo au fortissimo. Ce qui ne fut pas le cas du Waldemar de dont la voix plus soyeuse eut bien du mal à plonger dans le grave et à résister à l'engloutissement sous les flots symphoniques. Dommage car l'incarnation du personnage semblait bien maîtrisée, comme on put mieux s'en rendre compte dans la captation vidéo, micro oblige, d'Arte.tv.

Combinant engagement expressif et vocal, offrit un très réussi et déchirant Chant du Ramier. Dans la troisième partie apparaissent le paysan et le bouffon Klaus, tous deux brillamment caractérisés par et . Si les deux chœurs furent vaillants, reconnaissons que la partie réservée au chœur d'hommes était incompréhensible, mais ils apportèrent une parfaite couleur et participèrent avec panache à la réussite de cette troisième partie où, seul réel bémol, la partie de récitant trancha avec le reste. En premier lieu à cause de la sonorisation de l'actrice allemande qui lui procura une surface et une projection sonores tellement différentes des autres voix que cela cassa l'ambiance maintenue avec une cohérence sans faille depuis le début, et aussi par un jeu sans doute trop théâtral. Mais ce fut vite effacé par la fantastique péroraison finale, grandiose moment d'émotion qui traversa toutes les fibres de notre corps et fit vibrer la salle entière qui offrit assez rapidement une standing ovation à cette superbe interprétation, perfectible sur des points de détail, mais d'un niveau global digne de ce chef-d'œuvre.

Crédits photographiques : Concert du 14 mars 2014 sur Arte Concert © Radio France

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