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Otto, un opéra bilingue de Haendel et de Telemann

Donnée en version scénique au Théâtre de Magdebourg en mars dernier, cette représentation messine de l'Otto de Haendel et de Telemann constitue en France une première absolue.

C'est en effet la première fois dans notre pays que l'on entend en live le fruit d'une collaboration entre les deux musiciens, amis de jeunesse lors de leurs années hambourgeoises mais aussi correspondants pour plusieurs décennies, et surtout collaborateurs indirects lorsque Telemann prenait sur lui de faire jouer dans son théâtre les œuvres de son cadet de quatre ans.

Les différents procédés d'adaptation mis en œuvre font ainsi valoir, de la Londres hanovrienne à la cité marchande hanséatique, les changements de goût et d'esthétique ayant conduit à des modifications structurelles somme toute assez considérables. Ainsi, le public du théâtre du Gänsemarkt, dont la composition était moins aristocratique que celle de son homologue londonien, exigeait pour une meilleure compréhension du texte que les récitatifs fussent chantés en allemand, quand bien même les airs et les morceaux musicaux continuaient à être donnés en italien ; c'est d'ailleurs dans cet esprit que le tout jeune Haendel s'était essayé à son premier opéra hambourgeois, Almira, en 1705. La rareté des castrats en Allemagne avait également conduit Telemann à transposer pour voix de baryton – Otto – ou de ténor – Adelbert – les rôles initialement conçus par Haendel pour des voix masculines hautes, en l'occurrence les castrats Senesino et Gaetano Berenstadt. C'est jusqu'à l'architecture globale de l'œuvre qui se voit modifiée, non seulement par l'ajout d'un nouveau personnage – Isaurus – mais aussi par la disparition de certains airs de la plume de Haendel, sans doute jugés trop « statiques » pour un public au goût visiblement moins raffiné que celui des Londoniens qui avaient accueilli le Saxon parmi leurs compositeurs d'opéras favoris. Adieu, donc, au sublime « Falsa immagine » que la Cuzzoni avait initialement refusé de chanter devant un Haendel courroucé ! Adieu au superbe « Vieni, o figlio » de Matilda, véritable déclaration d'amour dans un opéra où chaque personnage reste essentiellement motivé par ses ambitions personnelles et par son inextinguible soif de pouvoir. Tout l'intérêt de ce concert réside donc dans l'écoute des airs expressément composés pour l'occasion par Telemann, airs dont certains pourraient presque pécher, sortis du contexte qui leur a donné le jour, par un manque d'italianité déroutant pour nos oreilles contemporaines. Mais de manière générale, le professionnalisme et la force d'inspiration de Telemann proposent à la plupart des pages manquantes un succédané qui n'est en rien dénué d'intérêt.

La partition, par définition composite, est servie par un plateau efficace et homogène dont la remarquable complicité atteste l'expérience de la scène, même dans le cadre d'une représentation concertante. Des deux sopranos en présence, la méforme passagère de permet de céder la place à , Gismonda encore plus manipulatrice que dans la version originale. Son fils Adelbert, incarné par le ténor canadien , fait valoir une voix aux couleurs légèrement barytonales ainsi qu'un legato de miel. Le ténor , en revanche, dispose d'un instrument plus instable, à l'instar des deux voix graves du plateau, le baryton en Otto et la basse en Emiremus. L'alternance des deux langues aura créé pour plusieurs de ces interprètes quelques fâcheries avec la diction, l'italien se voyant particulièrement malmené par un plateau essentiellement anglophone. De toute façon, le triomphateur incontestable de la soirée aura été l'ensemble – et notamment les pupitres hyper-vitaminés des instruments à cordes… – qui aura su, guidé par son chef attitré , insuffler à cette partition toute l'énergie dont elle a besoin pour triompher. Le public de L'Arsenal, assez clairsemé ce soir-là, n'a en tout cas pas manqué de signifier son enthousiasme pour cette intéressante réécriture.

Crédit photographique : © Benjamin de Diesbach

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