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La Clémence de Titus à Nancy met en vedette ténor et contre-ténors

Une œuvre de commande pour le couronnement de Leopold II à Prague, écrite dans l'urgence par un musicien de trente-cinq ans épuisé et en fin de vie (il mourra trois mois après la création) et de surcroît avec l'aide conséquente de son assistant Franz Xaver Süssmayr pour les récitatifs.

Un retour à la forme devenue obsolète de l'opera seria sur un livret éculé de Metastase datant de soixante ans et déjà utilisé par plus de quarante compositeurs. Pour toutes ces raisons, La Clémence de Titus n'a toujours pas trouvé la place qu'elle mérite au panthéon des opéras mozartiens. C'est toutefois méconnaître les améliorations dramaturgiques apportées au livret par Caterino Mazzolà et surtout le génie transfigurateur de Mozart, qui y sonde à nouveau l'âme humaine avec acuité et compose pour l'occasion certains de ses plus beaux airs et ensembles dans une instrumentation d'une richesse et d'une inventivité dignes de sa pleine maturité. L'Opéra national de Lorraine s'y attelle et pimente l'affiche en distribuant le rôle de Sextus, créé par le castrat Domenico Bedini, au contre-ténor , révélation retentissante de l'Artaserse nancéien de la saison dernière.

est attiré depuis longtemps par Mozart et singulièrement par ce rôle de Sextus. Dès son premier récital discographique en 2004, il en interprétait deux airs. La comparaison avec sa prestation de ce soir permet de mesurer le chemin parcouru. Doté d'une technique d'émission toute personnelle, travaillée et anti-naturelle à l'extrême (les contorsions de la bouche en témoignent) mais d'une formidable efficacité, il domine assez incroyablement la tessiture exposée du rôle, du grave bien timbré à l'extrême aigu lancé avec aplomb et vigueur, joue en virtuose accompli des variations de dynamique, alternant sons puissamment projetés et sons filés, impressionne par la longueur du souffle, la perfection du legato et par le brillant de vocalises véloces et précises. Grâce à son interprétation vocalement superlative, la présence d'un contre-ténor n'a ici vraiment plus rien d'exotique ou d'une curiosité musicologique. On regrettera cependant la rondeur et la plus grande variété de couleurs que peut y offrir une voix plus classique de mezzo-soprano, une intensité dramatique un peu obérée par l'investissement vocal et toujours cette perte de netteté des mots, rançon inévitable de la technique qu'il s'est forgée.

Tout aussi respectueux des intentions de Mozart, qui dut se contenter à la création d'un alto féminin, un autre contre-ténor, un «secondo uomo» selon la terminologie de l'époque, interprète le rôle d'Annius. y démontre combien ce type de voix offre désormais de variété et de possibilités. Très différent de en timbre comme en technique, moins à l'aise dans l'aigu mais passionnant d'éloquence, de nuances, de véracité dans les récitatifs, il apporte relief et virilité à ce personnage souvent sacrifié. Avec la Servilia sensible et cristalline de , il forme un couple d'amoureux d'une parfaite crédibilité. La troisième voix masculine aiguë n'est pas en reste. En Titus, incarne en effet avec présence et toute la noblesse de son rang impérial, les affres de la solitude du pouvoir confronté à la trahison et aux intrigues de cour. Acteur subtil et intense, chanteur doté d'une appréciable souplesse et d'une belle homogénéité, il marque indubitablement le rôle. Mais pourquoi se sent-il obligé de pousser tous ses aigus ? La jauge somme toute modeste de l'Opéra de Nancy ne l'y contraignait pas.

La soprano serbe n'est certes pas la plus parfaite, techniquement parlant, des Vitellia. Bien que sonore, le registre grave (inhumain pour toutes les chanteuses dans ce rôle) est conquis avec peine, l'aigu tranchant garde des reflets métalliques et acides, la vocalise est fragile. Mais qu'importe ; l'incarnation volcanique emporte toutes les réserves. En rousse incendiaire, sa Vitellia vit intensément, se consume dans la jalousie et la vengeance et bouleverse dans la nostalgie d'un «Non più di fiori» aux frontières de la folie. Pour finir, le Publius de , à la voix encore juvénile et au chant bien conduit, vient compléter cette distribution de haute tenue, soigneusement appariée et parfaitement homogène.

Rien de rédhibitoire dans la mise en scène de , rien de transcendant ou d'une folle originalité non plus. Les décors en camaïeu de gris et les costumes contemporains de Conor Murphy nous emmènent dans les bureaux aseptisés d'une multinationale à La Défense ou d'un cabinet d'avocats à Manhattan. L'utilisation très habile des vidéos de Finn Ross fait évoluer le fond de scène à base de figures géométriques imbriquées et de parallélépipèdes en relief. Seules les bottes militaires de Titus et Sextus ou le vêtement emplumé de Bérénice puis Vitellia peuvent évoquer (de très loin) les fastes de l'empire romain. Dans cet «open-space», nulle intimité n'est permise ; chacun s'observe, s'épie à travers une vitre alternativement opaque ou transparente et dont la rotation assure les changements de scène. Plus que par la scénographie, c'est dans la direction d'acteurs que trouve sa réussite. Très précise et étudiée, elle parvient à donner de l'épaisseur aux caractères, à les faire évoluer, à habiter les longues introspections des airs.

La direction allante, à la battue marquée mais jamais lourde, de est pour beaucoup dans la réussite du spectacle. L' se transcende et, Mozart mettant toujours à nu qualités et défauts, réussit brillamment son examen de passage. Un grand bravo également aux bois (clarinette, hautbois, cor de basset) qui insufflent poésie et énergie aux multiples airs où ils interviennent. Caché dans les loges d'avant-scène, le sonne avec ardeur et intensité… un peu trop parfois.

Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine

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