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Nancy : un Médecin des Fous de Battistelli sans authentique folie

La première ayant dû être annulée pour cause de grève des intermittents, c'est avec 48 heures de retard que Nancy a pu découvrir en création mondiale le nouvel opéra de .

Laurent Spielmann, directeur de l'Opéra national de Lorraine, confirme ainsi sa fidélité au compositeur italien, dont il a déjà créé Prova d'orchestra à Strasbourg en 1995 et Divorzio all'italiana à Nancy en 2008.

a cette fois tiré son livret de la comédie en dialecte napolitain O miedeco d'e pazze d'Eduardo Scarpetta, écrite en 1908. Mais à nouveau, comme pour plusieurs de ses œuvres lyriques, le cinéma n'est pas loin. C'est en effet à la version sur grand écran de Mario Mattoli en 1954 avec le célèbre comique Toto que la pièce doit de ne pas avoir totalement sombré dans l'oubli. A Naples, Ciccillo dépense au jeu les subsides de son oncle Felice, lequel croit lui payer des études de médecine. Patatras ! Voilà que l'oncle débarque avec femme et (jolie) fille. Avec l'aide de son ami Michelino, Ciccillo va s'employer à lui faire croire qu'il est devenu psychiatre et s'est acheté une clinique, en l'occurrence la Pension Stella où il vit et dont les autres clients quelque peu excentriques passeront sans problème pour d'authentiques aliénés. Les quiproquos se multiplient donc à chaque nouvelle rencontre entre l'oncle et un pensionnaire mais la supercherie finit par être découverte. Ciccillo sera néanmoins pardonné et, après une courte rééducation dans son village natal, pourra épouser sa séduisante cousine.

De cette succession de courtes saynètes, nettement moins drôle et satirique que le livret de Divorce à l'italienne, un peu trop linéaire et répétitive et pauvre en rebondissements, le metteur en scène a su faire un tout cohérent et fluide. Le décor fonctionnel de Tobias Hoheisel, en forme de double cylindre rotatif, permet des changements rapides et traduit bien par sa circularité la sensation d'enfermement physique et psychique des supposés fous. En clin d'œil aux grèves répétitives des éboueurs napolitains, les poubelles encombrent l'avant-scène. Les costumes de Patrick Dutertre apportent couleur et variété et se déforment jusqu'au fantastique au gré du regard que porte l'oncle Felice sur les divers personnages. C'est ce même point de vue, abusé par la mystification du neveu, que choisit pour nous dépeindre avec efficacité des caractères dont l'extravagance finit par ressembler à la folie. Sans jamais tomber dans la farce trop appuyée, il emmène tout ce petit monde aux frontières de l'absurde, que symbolise l'irruption d'un Rhinocéros de Ionesco.

La partition de est habile et soignée mais manque de relief et d'inspiration. On y retrouve le tapis sonore des cordes, les lumières crues jetées ça et là par les bois, l'effet comique des glissandos aux cuivres. Le traitement des voix nous est paru moins abouti et expressif que dans Divorce à l'italienne ; il abuse notamment du parlando et seule la tirade finale de Ciccillo rappelle la grande tradition du théâtre lyrique italien. De nombreuses citations de Verdi (Otello, Traviata, Falstaff) viennent avec humour émailler le discours musical mais leur redondance finit par lasser. La construction cyclique, commençant et finissant dans un café, offre toutefois l'opportunité d'un chœur très réussi et amusant sur les différentes manières de servir l'arabica en Italie.

Aucun des éléments de la nombreuse distribution ne démérite jamais, même si les difficultés hérissant les parties vocales les contraignent parfois à faire passer le jeu scénique au second plan. Centre de l'histoire, le Don Felice d' fait valoir un solide et élégant timbre de baryton et une belle présence. Plus malmené par une tessiture bien plus tendue dans l'aigu, le Ciccillo de est parfois couvert par l'orchestre. est parfaite en veuve foldingue cherchant à tout prix à marier sa fille maladivement timide. On remarque entre autres le Raffaele de , intense et marquant dans son obsession à interpréter Otello, le Michelino de , timbre de ténor un peu ingrat mais puissant et facile, ou le toujours truculent Bruno Praticò désormais sans voix dans le court rôle de Carlo, le patron de la Pension Stella.

Dans la fosse, le jeune chef déploie une belle énergie et assure avec conviction une parfaite cohésion avec le plateau. Avec un Orchestre symphonique et lyrique de Nancy impeccablement préparé et impliqué, le travail réalisé notamment sur les alliages sonores est assez fascinant. Sollicité comme on l'a dit en début et fin de spectacle, le Chœur de l'Opéra national de Lorraine tient lui aussi son rang avec vigueur et présence tant vocale que scénique. A l'issue des 80 minutes du spectacle, le public nancéien a accueilli chaleureusement l'ensemble des protagonistes.

Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine

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