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SUN : un running gag tragiquement évocateur à Berlin

L'Anglo-israëlien , formé à la de Tel Aviv, a fait ses armes auprès de , de , de et de . Avec sa dernière création Sun, le chorégraphe nous parle de la difficulté à exister entre humains et en tant qu'humains : des confrontations ratées, des rapprochements évités, des réconciliations avortées… Shechter voit en la danse son exutoire à cette société dégénérée.

Sun s'ouvre sur un monologue de son créateur qui apprécie, de toute évidence, l'autodérision : Shechter débute par la fin et nous laisse entrevoir un petit extrait du final, « pour que vous sachiez que ça va bien se terminer », précise le chorégraphe au micro. Le ton est donné, nous survivrons au spectacle, mais ça va chauffer, surtout pour vos tympans ! Toute l'Histoire de l'être humain est retracée au fusain : du loup aux agneaux, des colons aux indigènes, en passant par l'homme moderne en sweat-shirt à capuche. Entre le bien et le mal, le clair et l'obscur, la blancheur et la noirceur. Un dialogue chaud-froid rythmé par Richard Wagner, mais aussi par la pittoresque Queen's Royal Irish Hussars et même par des mantras méditatifs. Le danseur oscille : demeurera-t-il le mouton d'un troupeau ou le vilain petit canard ?

Une drôle de situation dans laquelle il évolue et résiste, le dos courbé ou droit comme un i. réfléchit le conflit et l'artiste pense à la guerre, « tout le temps », comme il le confesse. D'où l'envie, peut-être, de questionner la danse comme « ciment d'une communauté ». Shechter cultive l'effet de groupe. Ses mouvements d'ensemble font référence aux danses folkloriques et traditionnelles. Affublée de costumes pastel, nobles, dandy, sa compagnie se meut en clown blanc, en Pierrot ou en Colombine, entre Paradis et Enfer.

Shechter travaille le mouvement, sculpte le geste, avec beaucoup de liant. Sa danse est souple et fluide, hantée par une pulsation primitive, animale, tribale. Puis, elle s'approche de la transe avec des enchaînements délirants. Les corps crispés et lourds se relâchent comme attirés par le sol, comme ancrés dans la terre. « L'humanité, c'est justement ce que je cherche chez les danseurs », explique le danseur, « j‘aime qu'ils dévoilent de vrais sentiments dans un mouvement tout en fluidité. » Mais les tentatives d'élévation échouent. Surpris, le spectateur n'a pas le temps de reprendre son souffle qu'il est déjà plongé dans un nouvel épisode tragique, horrifique. Les tableaux défilent, l'éclairage parsème de-ci de-là la scène. Plongés dans un silence assourdissant, les interprètes délaissent la danse pour une pantomime abstraite, brute et évocatrice.

Notez que Shechter, ancien batteur d'un groupe de rock, réalise lui-même la bande-son de ses créations. Vibrante, la partition de Sun est parsemée de percussions entrelacées à une palette de sons hétéroclites, éclectiques, qui renvoient toujours à la même réalité dérangeante, oppressante. Le dispositif scénographique œuvre également à mettre le spectateur mal à l'aise, comme en témoigne ce lynchage public d'un des membres de groupe. Foisonnante d'émotions, la troupe est saisissante par son interprétation, poignante par sa technicité. Ces danseurs (six) et danseuses (sept), agresseurs ou victimes, ont un pouvoir de séduction. Un charisme captivant.

En véritable visionnaire, scénarise l'essence de l'existence, à la recherche de l'harmonie. Un corps à corps qu'il maîtrise avec aisance et lucidité. Le chorégraphe cultive cependant son goût de l'extrême, du show, du film d'action. Ne gagnerait-il pas à épurer, à minimiser son propos, pour ouvrir ses perspectives ?

Léa Chalmont-Faedo

En partenariat avec Berlin Poche

Crédit photographique : © Gabriele Zucca

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