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Les cours d’été internationaux de Darmstadt : au cœur de la nouvelle musique

Créés à Darmstadt en 1946 par Wolfgang Steinecke, les Cours d'été internationaux de musique nouvelle (Internationale Ferienkurse fûr neue Musik) qu'il va diriger jusqu'à sa mort (1961) sont rapidement devenus le point de convergence actif et fertile des avant-gardes de l'après guerre.

Autour de Boulez, Berio et Stockhausen, a gravité un certain nombre de compositeurs (Nono, Maderna, Kagel, Pousseur…) ayant fait table rase du passé et répondant tous à la « nécessité » du langage sériel… jusqu'à l'arrivée de John Cage; en 1958, ce doux anarchiste américain arrive à Darmstadt pour bousculer l'ego des compositeurs et ébranler les certitudes, apportant un souffle de fraicheur et de liberté au sein de la création sonore, avec une bonne dose d'humour et de provocation.

Poursuivie chaque année jusqu'en 1970, cette académie, devenue mythique, délivrant des cours de composition et d'interprétation voués à la création, est aujourd'hui une Biennale dont l'activité semble n'avoir rien perdu de son effervescence et de sa vitalité. En invitant des compositeurs comme le Français , le Danois , la bouillonnante Irlandaise , l'Autrichien et le doyen , , actuel directeur des Cours d'été de Darmstadt, entend donner à la création sonore son envergure et sa définition la plus large, ouvrant sur l'installation, la performance, l'électronique, la vidéo et de nouveaux concepts de spectacle dans une multitude de lieux accueillant autant d'expériences nouvelles.

Il est recommandé à chaque étudiant de réserver très tôt son vélo qui facilitera ses déplacements d'un lieu de travail à un autre. La journée dûment organisée, est partagée entre séminaires, journées d'étude, cours magistraux, workshop, répétitions et concerts du soir, invitant les phalanges allemandes les plus réputées comme MusikFabrik, Klangforum Wien, ou encore Mosaik ainsi que les jeunes ensemble internationaux en résidence durant toute l'académie tels que Soundinitiative pour la France, Distractfold pour l'Angleterre ou encore Garage pour l'Allemagne.

Sous le titre de « Transduction », la soirée du 11 Août à Centralstation (SAAL), grand espace modulable au coeur de la ville, réunissait dans un même projet trois oeuvres qui s'enchaînaient sans interruption, les musiciens de l'ensemble Mosaik occupant successivement le devant, le milieu et le fond de la salle. Quatre panneaux géants suspendus dans l'espace permettaient à la vidéo live de créer des enchaînements ou de contrepointer la musique de manière très spectaculaire. Viscosity, la pièce de l'Autrichien Clemens Gardenstätter, avec laquelle s'ouvrait le concert, donnait le ton de la soirée. Jouée sur instruments amplifiés et préparés (piano, guitare électrique, saxophones et percussions), l'oeuvre juxtapose des « moments », au sens stockhausenien du terme, dont la temporalité, l'intensité et la qualité sonore varient considérablement. Animée de gestes très explosifs ou extrêmement contenus, la pièce joue sur l'instabilité de son matériau et la recherche de sonorités subliminales stimulant une écoute tendue et captive. Dans Sad Songs (Chansons tristes) pour trio à cordes amplifié de l'Américain , les trois interprètes débutant « dal niente » entretiennent une matière fragile et bruiteuse, toujours au bord du silence, installant un climat d'attente n'autorisant que de brèves variations de régime. Tout aussi étrange mais plus colorée, la pièce de l'italien Mauro Lanza, donnée en création mondiale, a été conçue en collaboration avec le designer Andréa Valle. Regnum vegetabile est le second chapitre (après Regnum animale) d'une réflexion portant sur la nature et sa conceptualisation. C'est une succession de courtes pièces sonores et visuelles, chacune étant dédiée « à une plante imaginaire trouvée dans une terre inconnue ». Sur une immense table devant les six instrumentistes (trio à cordes et à vents), était posée une série d'objets sonores (flûtes à bec et autres roseaux empaquetés) reliés à un dispositif électronique, émettant des morphologies « linéamenteuses » prolongeant celles des instruments acoustiques… au sein d'une écriture aussi ludique que plastique qu'aime engendrer cet inventeur de machineries sonores.

Le lendemain, à l'Orangerie, un lieu charmant donnant sur un immense jardin à la française, l', magnifiquement préparé, donnait un concert avec, entre autres, deux oeuvres en création: le quatuor à cordes schlitzen/paramyth 2 tout d'abord, du même Clemens Gadenstätter, une oeuvre fleuve d'une écriture très exigeante, et Panopticon 2.0, oeuvre forte de l'allemand Sergej Maingardt conçue pour 9 instruments et électronique dont le mixage, confinant à la saturation, évoque un climat de guerre sur fond d'engagement politique.

Le concert du soir, tout aussi gargantuesque, invitait deux des ensembles en résidence, soundinitiative en début de programme et Distractfold en seconde partie. Des trois pièces jouées par l'ensemble français soundinitiative, nous retiendrons d'abord, de l'argentin , Canción del Ciego (2013), une pièce d'un impact dramatique très puissant construite à partir d'un seul geste vocal: un bruit de gorge très granuleux précédant l'émission d'un phonème – Fabienne Séveillac impériale sur le devant de la scène – est répété de manière litanique avant que les instruments le dupliquent, l'amplifient et amorcent avec la voix une véritable dramaturgie. L'oeuvre est écrite en parallèle à l'opéra Nuit aveugle du compositeur. Dans Vesperbild (2007) de Mauro Lanza que les musiciens, dirigée par l'excellent , donnaient après Street-Souvenir de , on retrouvait l'univers ludique, inventif et mutin du compositeur; il mélange ici la lutherie traditionnelle aux instruments-jouets et autres appeaux mis sous contrôle de l'électronique; l'écriture très colorée, imprévisible et séquentielle relève d'une fine ingénierie quand bien même elle semble improvisée.

Plus transgressives, les trois pièces au programme de l'ensemble de Manchester Distractfold faisaient d'avantage appel à l'univers électronique: Another celibate machine (2013) de Costaricain Mauricio Pauly met à l'oeuvre la transformation et la saturation d'un matériau incandescent, articulé avec une certaine violence du geste. L'oeuvre sur support de Too late, too far, une musique tout en relief, projetant un espace très mouvant et puissamment modelé, était entendue via un dispositif d'écoute spatialisé. La dernière pièce, The Man Who Couldnt' Stop Laughing (donnée en création mondiale), de l'américain Steven Kazuo Takasugi, est une action sonore mi-comique mi-grinçante, engendrant une théâtralisation du geste et une dramaturgie pleine de rebondissements dont les musiciens superbement investis communiquaient l'étrangeté et l'étonnante richesse de l'écriture sonore. C'est à ce jeune ensemble britannique – ainsi qu'à la compositrice américaine Ashley Fure – qu'était remis, à l'issue de l'ultime concert de cette 47ème édition, le Kranichsteiner Musikpreis 2014.

En soirée, c'est l', fondé en 2007 par le guitariste virtuose , qui investissait la scène de Centralstation. Issus de la culture du rock, du jazz et du groove, les quatre garçons (saxophone, guitare électrique, piano et percussions) aiment collaborer avec des compositeurs qui rejoignent leur esthétique: tel que le Belge qui leur dédie Flesh+Prothesis #0-2, une pièce un rien tortueuse qui charrie un matériau très bruiteux. Plus brillante, voire même virtuose et explosive, Skip A Beat du Berlinois Michael Wertmüller fait valoir un propos musclé jouant sur des ruptures temporelles très spectaculaires. En seconde partie, était en vedette avec Sgorgo Y, une pièce plutôt méditative pour guitare électrique solo, exploitant les multiples effets de résonance des sons, que Pierluigi Billone dit avoir écrite pour la main gauche de ce guitariste hors norme. L' terminait cependant la soirée toute en douceur avec The Reason du compositeur moscovite Vladimir Gorlinsky; la pièce aux sonorités flottantes, d'une grande économie de matériau, évoluait à la lisière du silence, dans l'épure sonore et poétique.

Crédits photographiques : © Klara Hirseland ; ©

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