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Réédition d’À travers chants de Berlioz

« Ce que je fais à Bade?… » écrit à ses « chers confrères » de l'Académie des beaux-arts en 1861, « J'y fais de la musique; chose qui m'est absolument interdite à Paris, faute d'une bonne salle, faute d'argent pour payer les répétitions, faute de temps pour les bien faire, faute de public, faute de tout. »

En quelques lignes à la fois crânes et amères, le compositeur résume sa carrière au crépuscule d'une carrière qui aura été aussi riche en révélations artistiques, en frustrations infinies sur le milieu musical, qu'en triomphes démesurés – comme le concert monstre de 1844 réédité il y a quelques jours avec succès en ouverture du Festival Berlioz.

Berlioz compile en 1862 les articles écrits tout au long de sa carrière pour un derrière ouvrage, A travers chants, avec en sous-titre en forme de programme « études musicales, adorations, boutades et critiques« . Après les jubilatoires Soirées de l'orchestre (éditions Symétrie)  parues dix ans plus tôt en 1852 et les fantaisistes Grotesques de la musique (1859), Berlioz s'attache d'abord avec cet ouvrage à rendre hommage aux maîtres qui l'ont constitué en tant que compositeur, Beethoven surtout, mais aussi Gluck et Weber, et à réaffirmer ses conceptions théoriques, notamment face à Wagner.

Et ça commence dès la première ligne du livre : « Musique, art d'émouvoir par des combinaisons de sons les hommes intelligents et doués d'organes spéciaux et exercés ». Jugeant qu'elle est à la fois un « sentiment » et une « science », Berlioz fait ce constat froid : « la musique n'est pas faite pour tout le monde ». Le genre de posture à vous coûter votre place de caveau au Panthéon de la République.

Si les longs développements d'analyse musicale intéressent surtout le mélomane berliozien qui souhaite retrouver le cheminement artistique du compositeur, si l'absence de salle symphonique convenable à Paris devrait théoriquement et enfin trouver un épilogue heureux en 2015 avec l'inauguration de la Philharmonie, d'autres développements restent toujours actuels et montrent le chemin que doit suivre la musique orchestrale et lyrique pour qu'elle rencontre le succès.

Par exemple, l'impact du son qui requiert que les salles ne soient pas trop grandes. Déjà en son temps, Berlioz trouvait les théâtres lyriques trop grand. Et encore il n'imaginait même pas une salle de la taille de l'Opéra Bastille… Il rappelle cette vérité simple mais souvent négligée : pour ressentir la musique, il ne suffit pas de l'entendre, « il faut vibrer soi-même avec les instruments et les voix, et par eux, pour percevoir de véritables sensations musicales » (p. 109). Ou encore : « Le son et la sonorité sont au-dessous de l'idée. L'idée est au-dessous du sentiment et de la passion. » Une hiérarchie peut-être personnelle à Berlioz mais propre à rallier le plus grand nombre.

Ouvrage à la tonalité dans l'ensemble sérieuse et testamentaire , A travers chants est entrelardé d'anecdotes (Liszt jouant la Sonate au clair de lune dans le noir pour quelques amis), de remarques piquantes (sur les chanteurs…) et de fantaisies (sur la Chine qui sait respecter les grandes œuvres et sanctionner les mauvais interprètes) qui font de Berlioz un écrivain et un artiste toujours incontournable de notre panthéon musical.

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