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La beauté intérieure de Diana Damrau et de Gianandrea Noseda

A Genève, pour l'ouverture de sa saison, l' s'est offert une soirée inoubliable.

Inoubliable de beauté. La beauté vocale d'une en très grande forme. La beauté d'une direction d'orchestre d'exception avec un investi dans la musique et investissant l'entier de sa personne pour sublimer les pages de , de et d'Igor Stravinski. Et la beauté intérieure du chef italien et de la soprano allemande .

Dès les premières mesures, le chef italien joue de tout son corps pour donner vie à sa musique. En gestes amples, il explicite son discours musical. Ses mouvements de bras, ses mains écartées, son dos qui soudain se redresse, son regard qui part vers le plafond du Victoria Hall, un brusque déhanchement, une génuflexion soudaine, tout dans ses attitudes est musique. Devant cette danse aux allures musicales, difficile de ne pas suivre le chef dans son illustration de la musique. Chaque mesure est une histoire racontée au public, à l'orchestre. Chaque geste une couleur.

Dans l'ouverture de Nabucco, les premiers sons  de l'orchestre ne sont pas très italiens. Certes tout est bien joué mais il lui manque cette brillance, cet éclat que la musique italienne gorgée de soleil réclame. Les violons manquent d'énergie. Qu'à cela ne tienne, dans des élans explicites emmène l'orchestre vers les rives de la Méditerranée. Bientôt, la « sauce » prend. Les cordes se font plus lumineuses, les cuivres plus éblouissants. La musique de prend enfin les couleurs de ce pays qu'il a tant célébré. Le climat jaillissant du final conquiert définitivement le public qui réserve une explosion d'applaudissements comme rarement le Victoria Hall n'en avait entendu.

La glace est rompue. Entre alors la soprano , toute auréolée de ses récents succès de Gstaad et à l'Opéra de Paris pour un programme verdien qui devait s'achever sur ce qui devient son incontournable leitmotiv, l'air de Violetta « E' strano… Follie, follie » de La Traviata. Auparavant, comme pour se chauffer la voix, elle chante deux airs de I Masnadieri et de Luisa Miller. A l'évidence, elle a ces airs en préparation puisqu'elle les chante avec une partition devant les yeux. Un moment de beau chant mais un peu absent de l'expressivité théâtrale que la soprano a pu démontrer en d'autres occasions. Dans l'air de La Traviata qui clôturait sa prestation, la soprano allemande se montre à nouveau d'une folle générosité. Encore chargée de ses prestations scéniques de l'héroïne de Verdi, elle est éblouissante de technique vocale et d'intelligence interprétative. Quand elle lance son « Gioire ! », elle est dans la vie, dans la jouissance ultime. Outre l'éclatement de sa voix dans une formidable projection qui ne peut mieux exprimer ce que Verdi et son librettiste voyait dans ce cri, envoyant sa tête et ses bras en arrière, le corps renversé aux limites de la chute, elle offre sa personne à la musique. La musique l'habite, la transcende. Entourée d'un orchestre immense, d'un chef investi, devant un public haletant, pour Diana Damrau tout cela n'existe plus. Il n'y a que Violetta. Bien évidemment, un tel investissement, une telle authenticité, un tel engagement ne peut que porter un public, déjà envoûté par la direction d'orchestre de Gianandrea Noseda, dans un délire de bravos.

Diana Damrau est surprise de ce déchaînement. Rappelée à de nombreuses occasions, elle rayonne du bonheur de ce succès. La voir rire au public, échanger des œillades avec Noseda, applaudir l'orchestre, partir et revenir avec la joie dans l'allure, comme une enfant à qui on aurait donné une récompense, pour une artiste de cette trempe, qui fréquente la scène depuis bientôt vingt ans, habituée aux succès, sa modestie devant la chaleur de ces remerciements est touchante. Elle montre combien la personne de Diana Damrau est empreinte d'une grande beauté intérieure.

Malgré son éblouissante prestation, quelques presque imperceptibles petites « hésitations » alertent l'auditeur attentif. Des flottements qui laissent à penser que la soprano allemande est victime de son extrême générosité. Il serait dommage qu'un si bel instrument se voit abimé par un manque de précaution. Mais que doit-on favoriser ? La durée en économie de moyens ou l'exubérance artistique ?

En deuxième partie, changement d'atmosphère avec Mort et Transfiguration  de . S'impliquant de tout son corps, Gianandrea Noseda tire l' qui, de son côté lui donne le meilleur de ses pupitres. Le chef italien créée des climats riches de couleurs orchestrales larges. Sollicitant tout l'orchestre dans un soin particulier des nuances, il offre une palette de contrastes tantôt bouillonnants tantôt apaisants en parfaite adéquation avec la musique de Strauss.

Dans L'Oiseau de feu de Igor Stravinski, Noseda s'ingénie à marquer plus encore les contrastes entre d'impalpables pianissimo et de débordants fortissimo. Sautant, gesticulant aux rythmes de la musique, son discours musical est encore une fois des plus clairs. Il termine son interprétation avec le visage en feu et la transpiration coulant de son front. Au moment des saluts, le chef se précipite entre les pupitres pour s'en aller saluer un contrebassiste ou un hauboïste, puis, avant même de recueillir les applaudissements du public, il remercie avec une immense gratitude ses violonistes ou ses violoncellistes. Une attitude de reconnaissance à l' qui montre que, malgré sa performance personnelle, Gianandrea Noseda reste conscient de l'apport des artisans de son succès. Une attitude qui lui est naturelle, prouvant si besoin en était la générosité de cœur de ce très grand chef.

Si ce concert d'ouverture de saison est une réussite, on remarque cependant que l'Orchestre de la Suisse Romande n'est plus aussi brillant que nous l'avions connu à l'époque de son cycle des symphonies de Bruckner. Si les violoncelles restent toujours aussi beaux, les autres cordes semblent avoir perdu de leur brillant. Les cuivres continuent d'avoir la palme alors les bois apparaissent plus timides qu'auparavant.

Crédit photographique : Gianandrea Noseda © Sussie Ahlburg

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