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Muti et le Chicago Symphony Orchestra, la distance et la beauté

De passage à Paris après plusieurs concerts donnés lors de sa tournée européenne, le est placé sous la baguette de son directeur musical, . La prestation confirme l'immense valeur de l'effectif mais cela suffit-il à combler les attentes ?

La Salle Pleyel a mis les petits plats dans les grands pour accueillir l'Orchestre symphonique de Chicago et son directeur musical . Dès son entrée en scène, l'applaudimètre explose comme si la représentation était déjà terminée… Comme pour répondre à ce déferlement enthousiaste, Chicago bombe le torse (et les cuivres), dans le pourtant si mince Meerestille und Glucklische Fahrt de Mendelssohn, dont la fonction de marchepied programmatique fonctionne à merveille.

Le titre, emprunté à deux brefs poèmes de Goethe, rappelle la cantate éponyme que Beethoven composa treize ans plus tôt en 1815. Musique paysagère s'il en est, on voyage ici dans une marine faiblement brassée – davantage peinture officielle que fulgurances à la Turner. Les violoncelles font çà et là gronder quelques grains menaçants mais les voiles gonflent plutôt paisiblement et le navire sonore arrive à bon port, sans marquer durablement les esprits.

Une (belle) mise en place

Avec La Mer de , on se dit que les choses sérieuses arrivent et que les moyens pléthoriques de l'orchestre vont enfin s'exprimer. Il faut pourtant déchanter rapidement et ce, dès les premières mesures. A t-on jamais entendu lignes si molles et indolentes dans De l'aube à midi sur la mer ? Les cordes quasi-visqueuses dessinent des contours paresseux qui font bailler d'ennui l'auditoire. L'ensemble de l'œuvre est conduit à un rythme de sénateur, sans que la baguette ne puisse dégager une vision cohérente. Un glacis continu sert de couleur générale – cuisson à l'étouffé tout juste secouée par les interventions d'un orchestre aux moyens pléthoriques mais tenus par une bride trop haute par un chef trop précautionneux. Ce Debussy sous verre peine à convaincre, par excès de prosaïsme et la volonté de s'en tenir à une (belle) mise en place.

En seconde partie, Muti coupe court aux applaudissements en faisant éclater les fanfares de la Symphonie n°4 de Tchaïkovski aussitôt arrivé sur le podium. Rythmes et timbres au garde à vous, on est d'emblée fixé sur la destination (on n'ose imaginer ce qu'aurait été la Symphonie n°3 le Divin Poème de Scriabine programmée dans les étapes précédentes de cette tournée européenne). Malgré les réserves, on gardera une nette préférence pour cette fin de soirée dans laquelle on entendit – enfin – le bruit et la fureur des pupitres de vents, idéalement proportionnés au débordement sensuel et naïf de cette musique. Sur cette bonne lancée, le chef italien fit exploser une Ouverture de Nabucco, lyrique en diable et très premier degré.

Le second concert était construit sur la même logique que la veille, à commencer par une très anodine fantaisie symphonique La Tempête, du même Tchaïkovski. La vitrine orchestrale est comme la veille, d'une beauté inouïe mais… on reste stupéfait de constater que tant de moyens puissent exprimer si peu d'idées en définitive. Les climats se croisent et se succèdent sans le moindre accroc ; c'est admirable de couleur et de perfection impavide, alors même que les éléments se déchaînent et que soufflent les bourrasques de cuivres.

Sages intentions

La Seconde Suite de l'Oiseau de feu ne donne qu'un aperçu fugitif et synthétique des inventions stylistiques du jeune Stravinsky. Muti préfère séparer les épisodes que de les enchaîner, initiative funeste qui brise l'élan naturel de la musique. L'Introduction est lénifiante et atone de bout en bout, alors que l'apparition et la danse de l'Oiseau cherche apparemment à se dégager de cette glue préliminaire. Feu de paille, hélas. Les tableaux se suivent, boutonnés dans un impeccable corset expressif. Le Finale a beau jouer de décibels, la prestation étonne par la minceur des arrière plans et la sagesse des intentions.

Que dire de cette Symphonie n°3 de Schumann en seconde partie ? La puissance des cordes répond à la rutilance des cuivres avec une belle énergie, surtout dans le Scherzo et le dernier mouvement (Feierlich). En dehors de ces mouvements-là, on reste dubitatif sur les intentions (pour ne rien dire des moyens) d'un chef à l'autorité souveraine mais si austère dans la réalisation. Ce Schumann s'oublie sitôt la dernière note éteinte, comme un beau voyage sans péripéties ni faits marquants.

Un bis-Nabucco pour conclure. Les bonnes idées se recyclent bien et le public ne boude pas son plaisir…

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