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Rameau, maître à danser

Donné au Théâtre de Caen en juin dernier, ce spectacle a enchanté également le public de la Philharmonie de Luxembourg.  Conçu dans un esprit de continuité, il met bout à bout deux ouvrages peu connus de Rameau (deux pièces de ballet) écrits tous deux pour l'intimité de représentations privées destinées à la cour de Fontainebleau.

Le premier, la pastorale Daphnis et Églé, s'inscrit dans le cadre des petites pièces destinées à égayer les parties de chasse royales ; ont dit que l'allusion implicite à la liaison entre Louis XV et la marquise de Pompadour aurait compromis les destinées de cette pièce au-delà de la répétition générale… Le deuxième, l'acte de ballet La Naissance d'Osiris, fut conçu afin de célébrer la naissance du duc de Berry, futur Louis XVI. Dans un cas comme dans l'autre, l'intrigue est pratiquement inexistante, et l'on pourrait ne voir dans ces divertissements que de simples prétextes à fournir quelque musique de ballet inconsistante. Il n'en est rien.

Tout d'abord, la qualité de la musique écrite loin du regard des critiques parisiens par un Rameau maître de son art comme jamais – il s'agit de deux œuvres de la maturité – rend précieux chacun des instants passés lors de ce remarquable concert. La plus grande liberté se dégage de ces deux partitions dans lesquelles le compositeur semble avoir cherché à se mesurer à tous les styles européens alors en vigueur.

Par ailleurs, la mise en scène, ou plutôt la mise en espace de et de la chorégraphe Françoise Denieau, privilégie la fluidité à tous les niveaux. À l'intérieur de chacune des deux intrigues, tout d'abord, avec la création d'images simples et précieuses à la fois, idéalisées mais également ancrées dans la réalité, qui soulignent autant le caractère intemporel de l'univers pastoral recréé que la spécificité de la grâce et de l'élégance naturelles du dix-huitième siècle. Au raffinement du tissu sonore déployé par l'orchestre font ainsi écho les bruits du cuir, de la paille, de la toile de jute. La mise en scène s'engage d'autre part à construire une continuité entre les deux récits, dont les parallèles sont subtilement relevés : intervention divine de Jupiter, scènes de tonnerre, etc. La naissance d'Osiris, dans un contexte qui n'a rien, mais vraiment rien, d'égyptien, apparaît comme la suite la plus naturelle des ébats amoureux du divertissement de la première partie. Si cette dernière a recours à l'artifice de la mise en abyme – les bergers « jouent » leurs scènes au cours d'un divertissement dont ils sont les propres orchestrateurs –, la « réalité » des événements en deuxième partie, où l'orage par exemple n'est plus feint mais réel, contribue à la crédibilité et à la cohérence du spectacle.

Musicalement, la réussite est totale, Rameau étant l'un des compositeurs qui, à l'évidence, sied le mieux à nos Arts Florissants nationaux. Sous la baguette douce et ferme de Christie, les sonorités chatoyantes déployées par les instruments caressent l'oreille de la première note à la dernière. Le plateau vocal, auquel se mêlent huit danseurs parfaitement intégrés à la troupe, est de la plus grande qualité. On saluera ainsi les belles prestations du ténor Sean Clayton, des barytons et Pierre Bessière ainsi que des sopranos et Élodie Fonnard. Une mention particulière pour le délicieux Reynoud Van Mechelen, dont le timbre de haute-contre à la française convient tout particulièrement aux émois de Daphnis.

Bref, une soirée comme on en a bien besoin en ce moment pour affronter les grisailles automnales qui s'annoncent.

Crédit photographique : Élodie Fonnard et © Philharmonie/Sébastien Grébille

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