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Une contre tous dans Happy Happy de Mathis Nitschke

Avec son premier opéra Jetzt, en 2012, partageait l'affiche avec Elliott Carter au Corum de Montpellier; il faisait à lui seul l'ouverture de la saison d'opéra 2014-2015, à l'Opéra Comédie cette fois, en présentant son deuxième ouvrage scénique Happy Happy, une vison du monde actuel pas si drôle que ça!

Le livret écrit par le compositeur ne consiste pas en une intrigue suivie. Façon patchwork, les quinze scènes écrites en plusieurs langues incluent bon nombre d'emprunts littéraires (Maître Eckhardt, Cicéron, Hoffmannsthal, Hitler…) pour dénoncer une société qui ne conçoit plus l'existence qu'en termes de rendement et d'efficacité: « l'époque des esclaves arrive », lit-on dans le livret…

Happy Happy met en scène l'individu, force résistante, face à une collectivité qui le manipule et à laquelle il semble devenir inutile de s'affronter. Ainsi le choeur, personnage à part entière dans Happy Happy – sur le mode de la tragédie antique –  sera-t-il pratiquement toujours sur scène.

Comme il jongle avec les citations littéraires dans le livret, joue avec nombre d'emprunts musicaux dans un élan post-moderniste totalement assumé: « Ma musique est affaire de références… j'aime les mêler, les fondre les unes avec les autres ». On voyage ainsi de Puccini (second acte de Tosca) à Verdi (Dies irae du Requiem) en passant par Schubert, autant de citations textuelles ou légèrement traitées, plus ou moins bienvenues selon le contexte. Plus intéressante est l'écriture orchestrale, colorée et volontiers répétitive lorsqu'elle accompagne les grandes pages chorales puissamment expressives: telle cette entrée en matière retentissante de la première scène ou les deux séquences jubilatoires (scènes 7 et 14) sur les paroles-titre Happy Happy, remarquablement servies par le choeur de l'Opéra et un orchestre en fosse très réactif et bien conduit par le chef allemand Arno Waschk.


Quant à la partie soliste, elle est rien moins qu'exigeante, qui oscille entre le grand air dramatique, le lamento baroque, la musique soul ou le texte parlé rythmé. Karen Vourc'h excellente sur tous les fronts s'impose face au groupe avec un charisme et une énergie vivifiante; elle crée la surprise à chacune de ses apparitions, qu'elle descende des cintres comme une divine créature, qu'elle magnétise la foule en star rock ou qu'elle chante la tête en bas, suspendue dans le vide.

L'impeccable mise en scène d', qui nous avait déjà séduit en 2012, joue sur de telles perspectives et emporte l'adhésion. Sur une scène totalement dépouillée qu'animent des effets laser (du rouge sur du noir), il met à l'oeuvre sa manière économe et rigoureuse pour conduire très efficacement les mouvements du choeur, ménager les contrastes et surprendre plus d'une fois le spectateur.

La partie électronique n'intervient que sporadiquement au fil de l'oeuvre; elle suscite par contre une très belle coda en démultipliant à l'infini la voix de Karin Vourc'h sur un vers de Percy Shelley: une manière très suspensive, poétique et rêveuse, de clore ce spectacle plutôt percutant; sans doute une touche d'optimisme dans cette vision assez alarmante du XXIème siècle.

Crédit photo : Happy Happy @ Marc Ginot

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