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Intégrale des quatuors à cordes de Jacques Lenot par les Tana

Après l'intégrale de son oeuvre pour piano dévolue au seul Winston Choi, confie au ses six quatuors à cordes augmentés d'un septième, qu'il a écrit pour les quatre interprètes, dans la perspective de ce coffret.

C'est la première fois dans l'histoire de la musique qu'une intégrale de quatuors à cordes est réalisée par les mêmes interprètes au côté d'un compositeur vivant: gage certain pour les Tana d'une collaboration étroite avec et d'une féconde imprégnation de l'écriture et de la pensée du compositeur dont les sept quatuors révèlent ici l'expression la plus concentrée.

On ne saurait dire exactement ce qui préside à l'ordonnance, ici non chronologique, des sept quatuors dans le coffret. Mais le pouvoir immersif du Quatuor n°6 qui débute l'intégrale, nous met d'emblée à l'écoute attentive d'une matière frémissante, dans un espace très épuré qui ne sera jamais véritablement le lieu du dialogue chez . Le compositeur procède davantage par stratification, élaborant des trames légères et mouvantes sur lesquelles s'inscrivent des figures furtives ou des lignes plus éloquentes, comme celles qui naissent ici sous les archets respectifs des quatre musiciens. Etrangement, le « lyrisme éperdu » qui gorge ces solos est déjà présent dans le Quatuor n°1, au sein du second mouvement notamment, où l'entrelacs musclé des quatre cordes laisse peu à peu la place à un relai d'instrument soliste dans un espace toujours minutieusement construit.

Portant souvent des dédicaces, les quatuors sont le plus souvent en un seul, voire deux mouvements, excepté le Quatuor n°2 écrit en trois semaines sous le choc des événements du 11 septembre 2001. Au sein des quatre volets – Retenu, Furtif, Voilé, Ardent – le premier, le plus développé, est écrit dans cette manière insistante, fragmentée, énonçant des formules brèves et répétitives dans un espace en flottement qu'affectionne tout particulièrement Lenot. Sur le même CD, le Quatuor n°4, d'un seul tenant, dédié à la pianiste et pédagogue Françoise Thinat, est empreint d'une grâce singulière; construit sur un rythme de valse stylisé, il est conduit par l'alto dont le chant profond confine paradoxalement au tragique.

Etrange par la discontinuité qui l'habite et son propos distancié, le Quatuor n°3 met à l'oeuvre le silence comme agent d'un dramatisme saisissant. Le Quatuor n°5 qui lui succède dans l'enregistrement est sans titre et sans dédicace. Procédant de la même écriture, si singulière, par strates sonores diversifiées, la matière en est plus dense et le geste un rien contraint qui peine à trouver son élan.

D'envergure, puisqu'il fait à lui seul l'objet du troisième CD, le Quatuor n°7, dédié au , est une véritable création au disque. Ecrit en deux mouvements, sans titre, et d'une quarantaine de minutes, il est inspiré par la Correspondance de Robert Walzer que Lenot relisait en 2012. C'est sans conteste une oeuvre somme au sein de laquelle le compositeur façonne sa matière, organise les temporalités, modifie les éclairages, dessine son espace avec une maîtrise et une fermeté souveraines. Dans le second mouvement, nourri de contrastes, le tracé vigoureux des figures ornementales animant des espaces en continuelle métamorphose, renvoie au geste instrumental de Suppliques, la dernière oeuvre pour orgue du compositeur, et à sa « plénitude vacante » à laquelle semble faire écho le titre Le ciel retrouvé sous lequel paraît ce coffret.

Le détail de la matière, la lisibilité des formes, l'engagement du geste et la palette somptueuse des couleurs qu'ils tirent de leur instruments sont assurément l'oeuvre des Tana qui révèlent ici toute l'exigence et la discipline de leur art; servis par un enregistrement des plus soignés, ce coffret, à la hauteur du précédent, scelle une nouvelle filiation artistique entre le compositeur et ses interprètes.

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