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An American in Paris : première mondiale sur du velours

An Americain in Paris n’était jamais monté sur scène. Il fallait le faire, le Châtelet l’a fait, et l’a bien fait.

Poursuivant son exploration des plus fameux Musicals du répertoire, le Théâtre du Châtelet programme en cette fin d’année 2014 An Americain in Paris de George et Ira Gershwin. Mais, contrairement à l’habitude qui voit l’œuvre généralement créée à Broadway, puis portée à l’écran tout en poursuivant sa vie sur scène, comme My Fair Lady l’an passé, le film de Vincente Minnelli sorti en 1951 était un pur produit hollywoodien, et jamais jusqu’à présent l’œuvre n’avait connu les honneurs de la scène. C’est donc en toute première mondiale, avant même d’aller sur Broadway, que Paris peut voir et entendre cet Américain qui aimait tant notre capitale.

Décidant de ne pas copier ou reproduire le film de la MGM, tout en en conservant la trame, les auteurs de cette nouvelle mouture décidèrent de crédibiliser l’action en fournissant une raison d’agir à leurs personnages. Ainsi donnèrent-ils à chacun caractère et passé mieux définis et resituèrent-ils le temps de l’intrigue immédiatement après la démobilisation des GI’s. Objectif atteint, chacun a un rôle parfaitement dessiné, les relations entre les personnages fonctionnent à merveille, et l’ajout du personnage de la mère d’Henri Baurel est une complète réussite. Renouvellement également du côté des numéros musicaux. Si quelques uns disparaissent, de nouveaux, plus nombreux, apparaissent, tel un ballet sur la Second Rhapsody, et on retrouve avec plaisir Love Is Here to Stay, I Got Rhythm, I’ll Build a Stairway to Paradise, S Wonderful, le Concerto en fa et bien sûr le ballet An American in Paris.

C’est donc une intrigue parfaitement bien huilée qui est confiée à un casting aux petits oignons, incontestable réussite de ces représentations parisiennes. Tous les personnages sont croqués avec saveur et enthousiasme par leurs acteurs chanteurs danseurs. Si on sent le Jerry de Robert Fairchild plus facilement danseur, faisant presque oublier Gene Kelly, son jeu d’acteur est solide et la voix assure une bonne prestation. Toute en grâce dès sa première danse, la fragile et menue Lise de Leanne Cope est un enchantement du début à la fin. Jill Paice compose une séduisante Milo au doux filet de voix, durcissant légèrement le timbre lorsqu’elle doit pousser le volume. Les deux compères, Henri et le compositeur Adam Hochberg (variante de l’Adam Cook du film) sont épatants et très bons acteurs. Et l’irrésistible composition de Veanne Cox en Madame Maurel apporte à cette pièce des touches tragiques, guindées ou comiques qui font systématiquement mouche.


Les spectateurs assidus des Musicals du Châtelet pourront y aller cette fois encore les yeux fermés, qu’ils n’oublieront pas d’ouvrir tout grand lorsque le spectacle commence, car ils y retrouveront les qualités habituelles de cette maison : beauté, élégance, classe, intelligence, rigueur, précision et professionnalisme à toute épreuve de toute la troupe. Tout est là pour faire un spectacle réjouissant, où peut-être un soupçon de grain de folie ici ou là et un son un peu plus clair venant de la fosse l’aurait rendu encore plus jouissif. Si tous les numéros sont bons, certains resteront mémorables : une superbe scène de lettres au début, bien sûr le ballet éponyme en reste le clou, mais il se fait presque voler la vedette par le rêve de gloire d’Henri (qui se substitue à celui d’Adam dans le film) et son magique changement de décor qui fit littéralement frémir de plaisir la salle entière qui ne put réfréner ses applaudissements.

Voilà une création mondiale qui jouait peut-être sur du velours mais encore fallait-il réussir le challenge. Ce qui est finalement gagné haut la main, grâce à l’intelligence de l’adaptation, la profondeur des personnages et la superbe réalisation à l’unisson des décors, costumes, lumières, chorégraphie, et bien sûr grâce à cet impeccable casting de haute volée.

Crédit photographique : Robert Fairchild (Jerry) et Leanne Cope (Lise) / Scène de ballet © Angela Sterling

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