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Florence Baschet rencontre Virginia Woolf dans The Waves

Concevoir un concert sans changement de plateau, qui relie les styles et les époques dans une trajectoire sonore continue et toujours à fleur d'émotion ; c'est la proposition, risquée autant que subtile, de , maître d'œuvre inspiré de ce « Voyage de l'écoute » au sein duquel nous était révélée The Waves, création mondiale de d'après le roman éponyme de Virginia Woolf.

« La musique souvent me prend comme une mer » disait Baudelaire. C'est sur la poétique du flux sonore, entre mouvement et instants plus contemplatifs, entre narration et évocation, qu'était conçu ce voyage de l'oreille qui donnait d'abord à entendre… les affres de la création. Dans T(air)re, veut rendre sensibles et même visibles les conditions physiques extrêmes qui ont été celles de l'écriture de sa pièce. Souffle, plainte, sifflement, cri précèdent souvent l'émission du son dans un flux discontinu et fragilisé par la tension qui s'incarne dans le geste compositionnel. Avec un investissement très physique, Cécile Cuniot, sidérante, exprime ce vécu dont la flûte se fait le médiateur très expressif. L'atmosphère est plus sereine avec « Musique nocturne », la quatrième pièce de la suite pour piano En plein air de Bela Bartók : musique de l'effleurement, du frissonnement, avec tout ce que le mot Nocturne « contient d'impressions et de lumières spéciales » aurait dit Debussy. Très habité, Jean-Luc Ayroles nous révèle ce chef-d'œuvre du maître hongrois, induisant une approche pianistique originale et minimale. Très elliptique lui-aussi, son compatriote aime jouer avec la mémoire et les hommages faits aux anciens. En 1990, il dédie six petites pièces en trio à , autant d'aphorismes sonores où la concentration du matériau est de mise : fulgurance du geste, petite note cinglante ou timbre fusionnel des trois partenaires en lice quand il s'agit de camper Raro, un des personnages du « théâtre » schumannien. Frank Scalisi (clarinette), Jean-Luc Ayroles (piano) et Barbara Giepner (alto) relèvent le défi avec une acuité sonore et une vivacité toute réactive. Ce sont les deux derniers mouvements des Märchenerzählungen (Récits de légendes), pointés par Kurtag dans son hommage, qu'enchaînaient ensuite les mêmes interprètes. Le troisième mouvement aurait suffi, qui incite à la rêverie, à la faveur d'une polyphonie mouvante des trois instruments.

De l'aube à midi sur l'océan

Nous étions au sommet de la trajectoire avec The Waves de , pour septuor et électronique, que venait diriger . « Woolf y fait résonner la lumière de l'aube sur les vagues de l'océan » dit dans sa note d'intention. Dans cette oeuvre mixte, superbe, la source électronique s'immisce dans la texture instrumentale avec une délicatesse et un rendu toujours très efficace. Entre parlé et chanté, la voix, celle de très ductile, fait valoir la sonorité des mots de la romancière anglaise : sifflantes et chuintantes relayées par l'électronique (Technique IRCAM) se fondent dans des nappes de bruit rose très évocatrices. Entre jaillissement et immersion, la ligne vocale bien conduite par la mezzo-soprano nous porte vers « la chair nue de l'émotion »… tout comme les deux Intermezzi de , saisissants sous les doigts de Jean-Luc Ayroles, qui ponctuent le voyage ; musique de l'ineffable d'un Brahms déjà vieux qui, dans la demi-teinte, fait résonner le chant de l'âme.

Crédits photographiques : © Jean de la Tour

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