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À Lausanne, Tancredi est un bien pâle héros

Plus de vingt-cinq ans d'attente pour qu'un théâtre lyrique romand reprogramme l'admirable Tancredi de .

En avril 1990, le Grand Théâtre de Genève, sous l'alors direction de Hugues Gall, mettait les petits plats dans les grands avec une jeune et bouleversante Sofie von Otter dans le rôle-titre et une formidable Katia Ricciarelli dans celui d'Amenaide.

Avec sa partition d'une richesse musicale inouïe, Tancredi est l'opéra d'un Rossini de vingt-et-un ans. La rare programmation de Tancredi à l'affiche des maisons lyriques s'explique avec sa moindre popularité que La Cenerentola ou Il Barbiere di Siviglia. Il faut donc louer l'initiative lausannoise de le montrer. S'il ne présente pas de grandes difficultés scéniques Tancredi demande cependant une distribution vocale de premier ordre.

Malheureusement, l'Opéra de Lausanne n'a pas eu les moyens de son ambitieux projet. L'honnête distribution n'a pas l'envergure ni le poids nécessaire pour donner corps à l'idée fondamentale du livret, soit un mélodrame héroïque. Si chacun des protagonistes s'efforce d'illustrer son personnage au mieux de son talent, l'esprit du texte fait défaut.

Toute l'action se déroule dans le décor unique d'une grande salle aux colonnades de marbre noir percée de larges baies vitrées. En transposant l'action de Syracuse de l'an 1000 au Second Empire, la mise en scène de n'apporte aucune lumière particulière à une intrigue plus psychologique que dynamique. S'ensuivent des scènes d'entrée et de sorties de personnages (et de chaises, indispensables accessoires des mises en scène actuelles). C'est donc dans la direction d'acteurs qu'on attend l'éclairage de l'intrigue. Mais, seule la lecture des surtitres renseigne le spectateur sur son déroulement. Dans cette ambiance statique, difficile de trouver une potentialisation de l'œuvre. Peut-être manque-t-il aussi l'artiste catalyseur de ce drame. Une voix qui galvaniserait le plateau de sa présence.

A cet effet, bien évidemment le rôle-titre, par l'écriture musicale rossinienne attachée à Tancredi présente les ingrédients attendus. Mais, la mezzo-soprano (Tancredi) n'a pas l'étoffe vocale suffisante au personnage. Non pas qu' manque au chant rossinien. Si elle en a les vocalises, elle n'a pas la vaillance et l'éclat du héros. Trop lyrique, trop préoccupée à l'expression d'un beau chant, elle efface ainsi le caractère conquérant de Tancredi. Si elle offre de superbes mezza-voce dans ces épanchements amoureux, on aurait aimé qu'elle adopte une couleur vocale plus lumineuse dans ses déclarations belliqueuses. De même, ce manque d'énergie vocale déteint sur son théâtre. Pas très bien dirigée, n'apporte guère de crédibilité à ses actions belliqueuses ou amoureuses.


A la réplique, la soprano (Amenaide) après un début timide, démontre sa très bonne connaissance du chant rossinien. Elève de Leila Cuberli, la soprano américaine a certainement bénéficié des conseils avisés de sa professeure qui, en 1983, était Amenaide aux côtés du Tancredi de Marilyn Horne ! Manquant encore d'assurance et de métier, l'attention de chaque instant au respect de la partition empêche d'investir complètement les tourments de son personnage.

Si le ténor (Argirio) s'avère à la hauteur de la partition, s'il possède l'agilité nécessaire au chant rossinien, s'il dispose d'aigus lumineux, son attitude théâtrale sans noblesse donne difficilement l'image du roi de Syracuse. En outre, sa jeunesse difficile à cacher rend invraisemblable sa paternité d'avec Amenaide qui paraît aussi âgée que lui.

Reste que sous la direction attentive et précise d', l' et le Chœur de l'Opéra de Lausanne se fondent dans la musique de Rossini pour la porter vers des hauteurs enthousiasmantes. Et c'est bien ceux-là qui méritent amplement les bravos d'un public tout aussi conquis par la beauté de la musique de Rossini.

Crédit photographique : Tancredi, Opéra de Lausanne, mars 2015 © M. Vanappelghem

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