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Coup d’envoi du Festival Les Musiques à Marseille

Émanation du GMEM, Centre national de création musicale, le Festival Les Musiques de Marseille, piloté par son directeur Christian Sebille, donnait samedi 2 mai le coup d'envoi de sa 28e édition.

Avec une quinzaine de créations et plus de 25 concerts, la programmation 2015 se penche sur les relations plurielles entre texte et musique et fait une large place au spectacle multi-média, invitant la musique mais aussi le théâtre, la danse ou encore la vidéo : autant de lieux différents investis dans la ville et de partenaires avec lesquels le festival entend tisser des liens multiples et durables.

C'est le Théâtre National de La Criée qui accueillait le festival pour un concert d'ouverture convivial autant que prestigieux. Les forces vives de l', le Choeur contemporain et l'ensemble vocal – tous basés dans la cité phocéenne – étaient réunis pour rendre un hommage vibrant à l'une des figures les plus actives de la musique contemporaine, . Etait donnée en création mondiale sa symphonie avec choeur, les neiges éblouies, commande de l'Etat passée au compositeur marseillais.

Professeur honoraire de composition du CRR de Marseille – classe qu'il a lui-même créée- et fondateur du GMEM (Groupe de Musique Expérimentale de Marseille) en 1969, est un des acteurs de la vie musicale de sa ville natale. Il rencontrait le public au cours d'un concert prélude au « grand soir », donné dans le hall du théâtre par les étudiants du Cefedem (Centre de Formation des Enseignants de Danse et de Musique) de l'Université d'Aix-Marseille. Ils jouaient une dizaine de pièces solistes ou en duo de , couvrant quelque cinquante années de création. Etaient entendues, comme nous l'expliquait de manière très sympathique cet homme plein d'humour, des pièces originales pour piano (En avril 81) et leurs transcriptions pour diverses formations – saxophone-piano (Espaces) , vibraphone-marimba (Jadis), piano à 4 mains (Sonate…) : une musique de jeunesse encore sous influence – celle de Messiaen semble prédominante – alterne avec des compositions plus récentes et personnalisées (Six monodies pour saxophone ténor). Superbement servies par nos jeunes interprètes, ces pièces courtes autant que fulgurantes témoignent d'une écriture exigeante, à la ligne très ciselée, où la concision va de pair avec un raffinement harmonique et une attention au timbre, qualités éminemment françaises que la création du soir allaient confirmer.

C'est en effet aux maîtres français, Debussy et Messiaen, que font référence les deux premiers mouvements, Préface et Nocturne, des Neiges éblouies que dirigeait en création mondiale . Le titre de cette symphonie en quatre mouvements est emprunté à un vers de Rimbaud (Le Bateau ivre) tandis que les textes de trois autres poètes, , Franck Venaille et Stéphane Mallarmé, viennent irriguer cette grande fresque symphonique de 50 minutes qui culmine avec L'hymne à Saint-Jean Baptiste de Mallarmé.

C'est dans un climat impressionniste, avec les cordes divisées et de souples lignes modales, que s'origine la composition de Georges Boeuf, convoquant d'emblée le chœur sur le très beau poème « L'échelonnement des haies » de Verlaine chanté avec une clarté exemplaire par le Chœur contemporain et l'ensemble . Mystère, reflets diamantés et timbres purs traversent le second mouvement, Nocturne, avec « tout ce que ce mot contient de lumières spéciales » aurait dit Debussy. Le Scherzo suivant s'inscrit dans des contours plus nets et un temps plus discontinu : musique aventureuse, parfois théâtrale et toujours surprenante, mettant en scène le cor anglais, la flûte alto ou encore le contrebasson. La Cantate finale déploie quant à elle une écriture flamboyante et un geste puissant irradié par le verbe de Mallarmé. L'expression atteint ici une dimension cosmique, à grand renfort de percussions et de projections d'accords presque varésiens. Orchestre et chœur très sollicités donnent la pleine mesure de cet éblouissement final sous le geste magnifiquement investi de .

On retrouvait l'ensemble – a cappella cette fois – et son chef le lendemain, en l'église Saint-Laurent, toute proche du Fort Saint-Jean et du somptueux Mucem, dans le quartier dit du Panier. Le programme somptueux avait été conçu en fonction de l'acoustique plutôt généreuse de cette voûte romane aux lignes très épurées : ainsi cette page contemplative d', O sacrum convivium (1937) qui débutait le concert. Tout à la fois sensuelle et recueillie, sous le geste magnétique du chef, elle nous introduisait d'emblée dans un autre temps à la faveur d'une superbe interprétation. Suivaient trois pièces plus récentes dont une création mondiale, Ardor de , sur un poème de l'écrivaine Frederika Amalia Finkelstein. Les artistes étaient tous deux présents dans l'église. Le compositeur confie à chacun des 12 chanteurs un instrument à percussion (peaux, bois et métaux) donnant une envergure résonnante, parfois presque tribale, à sa pièce. Comme il aime à la concevoir, l'écriture vocale est exigeante, foisonnante, avec ses stases, ses fulgurances et ses embrasements, voire ses « belles longueurs »… On ne regrette qu'une seule chose, c'est l'absence du texte sur le programme pour apprécier « la beauté extrême de ce poème » selon les termes de Schoeller. Saluons l'investissement hors norme des chanteurs assumant avec vaillance leur double rôle. Si Yanantin du compositeur suisse , introduisant la présence légère des rhombes, relève d'une écriture un brin disparate et étrangement conduite, Chu Ky VI de  séduit par la beauté des timbres et le mystère du cérémonial qui est en train de se dérouler, wood-chimes et crotales signalant ici les temps du rituel. Couleurs, jeu de trames, délicatesse des dynamiques et des allures sont autant de paramètres détaillés par le chef et ses interprètes pour capter l'écoute.

Lux Aeterna de qui terminait la soirée est un des plus grands défis lancés aux chanteurs qui doivent tendre vers la pureté du son électronique. Précision de l'intonation, énergie du son, raffinement des timbres sont autant de qualités de l'ensemble pour animer le continuum sonore en constante métamorphose et créer cette sonorité irisée dans un temps suspendu qu'appelait de ses vœux le compositeur d'Atmosphères. Ainsi le concert se refermait-il comme il avait commencé.

 Créditt photographique : Roland Hayrabedian / Musicatreize (c) Guy Vivien

 

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