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La Juditha de Vivaldi triomphe à Bâle

Bâle offre la scène à Juditha Triumphans, unique oratorio de Vivaldi qui nous soit parvenu. La somptueuse partition bénéficie de la chorégraphie de mais surtout de l'excellence musicale de La Cetra Vokalensemble et La Cetra Barockorchester de Bâle.

Représentée en 1716 avec un succès tel qu'elle fut considérée en son temps comme l'Hymne vénitien, cette allégorie à peine masquée de l'intrusion ottomane sur l'île de Corfou alors sous protectorat vénitien, fut composée en latin à l'adresse des pensionnaires féminines de l'Ospedale della Pietà. S'inspirant du classique biblique, l'œuvre narre le parcours de l'ombre à la lumière de cette sœur de Dalila, Judith, qui délivra la ville de Béthulie de l'envahisseur Holopherne en décapitant celui-ci après l'avoir séduit.

Lorsque le rideau de l'Opéra de Bâle se lève sur l'irrésistible premier tube d'une partition qui n'aura de cesse de les aligner, les danseurs sont déjà en action dans un décor post-apocalyptique de gigantesques blocs de pierre. Un univers de violence toute masculine semble s'activer là depuis la nuit des temps. On repère assez vite au sommet un Holopherne se repaissant du carnage. Dans les mêmes hauteurs, officie, à jardin, un très chic Ospedale moderne de jeunes filles, perruques blondes, épaules nues émergeant de luxueuses robes de soirées d'une blancheur immaculée. A cour, dans des costumes identiques, les 5 solistes requises par l'œuvre, vont rivaliser de pureté et d'agilité vocale. Même si l'interprète de Vagaus () emporte notre enthousiasme, toutes (issues du chœur) sont à louer. Dans la fosse, un orchestre stupéfiant nous conduit dans les arcanes du chef-d'œuvre, ramené à 110 minutes au lieu des 150 originelles, délesté qu'il est pour l'occasion de quelques récitatifs et de trois airs. Ductilité ahurissante, sonorités prégnantes d'un instumentarium richissime (ce qui se passe, par exemple, dans le chalumeau étreignant de beauté sur Veni, veni, me sequere) : l'oreille est constamment sous le charme de l'Ensemble baroque de Bâle (15 ans d'âge déjà !) Pas étonnant que la Deutsche Grammophon l'ait repéré ! a confié ce soir sa baguette à . Le chef suisse et le chef du Venice Baroque Orchestra, forts du succès in loco de leur Indian queen de 2012, ont fondé La Cetra Vokalensemble. Ces atouts de haut vol leur ont permis cette saison la Médée de Charpentier et cette Juditha Triumphans qui donne sa première ride à la référence de Vittorio Negri chez Philips. C'est cette formidable révélation sonore que l'on garde en souvenir de la soirée.

Les planches ne se situent pas à fait à la même hauteur. Louons néanmoins l'excellente idée de vouloir mettre en scène une œuvre qui est une des meilleures de son auteur, et bien que marquée du sceau oratorio, probablement son meilleur opéra. Mais on est loin du génie avec lequel, à la barbe des puristes, Claus Guth a mis en scène le Messie. Claus Guth est un metteur en scène. est un chorégraphe. Et sa Juditha aligne toutes les tics d'un spectacle de chorégraphe : décor se croyant obligé de donner la priorité aux danseurs, espace visuel qui n'évoluera pas, hormis la chute bienvenue d'un immense dais de toile à la mort d'Holopherne. Le très regretté Bertrand d'At à l'Opéra du Rhin était parvenu à briser cette malédiction avec, entre autres, un mémorable Lac des cygnes. La Juditha de Wherlock vaut surtout par la sidérante énergie serpentine des corps, la perfection synchronisée des mouvements d'ensemble, la passion pour l'œuvre qu'elle distille et in fine son message humaniste du plus beau niveau : ce monde exténué d'hommes obsédés par la violence de leur testostérone se verra remplacé par un monde féminin aux antipodes des amazones castratrices que l'on pourrait un instant redouter, avant qu'elles n'intègrent dans leur société nouvelle le danseur () qui avait conquis toute l'assistance par le délié d'un jeu totalement original, hors-norme. Un homme pas comme les autres. Dans un Temps où beaucoup d'êtres humains de type masculin ne se reconnaissent décidément pas dans l'immémoriale violence de leur congénères, la leçon de Vivaldi (sa Juditha défendue par des voix de femmes) et celle de Wherlock (qui les fait toutes triompher) s'avère une précieuse balise humaniste et le voyage à Bâle un voyage initiatique.

Crédit photographiques : Ismael Lorenzo

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