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La Roque d’Anthéron : piano à tous les goûts

À La Roque d'Anthéron, on rencontre des musiciens de premier plan dans des programmes originaux, voire insolites.

Au temple protestant situé à l'entrée du beau village de Lourmarin, Herve Billaut fait découvrir à quelque 300 auditeurs curieux l'immense Sonate en mi bémol mineur de (1865-1935), composée entre 1899 et 1900. C'est un voyage initiatique, un pont entre le passé (forme sonate, scherzo, référence à Liszt, à Debussy, à Franck…) et le présent, voire le futur (thème constitué par une suite de notes et non par une mélodie, recherches d'effets sonores multiples…), dans une dimension « quasi galactique » selon le pianiste. Après une rapide explication de l'œuvre, Herve Billaut nous entraîne pendant 45 minutes dans un monde à la fois très personnel et universel du compositeur, grâce à une dextérité souple et fixe et à des jeux délicats et brutaux, pour des expressions méditatives et agressives. À travers son exécution, avec l'utilisation réduite de pédale forte pour s'adapter à l'acoustique du lieu, on sent (et cela s'entend clairement) le réglage très précis du piano de la part de l'accordeur. En bis, Clair de lune de Debussy en rapport avec le premier morceau joué au récital, La plainte, au loin, du faune, qui rend hommage à celui-ci. En revanche, dans « Castilla » d'Albéniz (extrait de la Suite espagnole) qu'il interprète en deuxième bis, il relâche quelque peu son attention à l'acoustique avec plus de pédale, et la résonance devient beaucoup plus généreuse.

Plus tard le même soir, impressionne l'auditoire des gradins du Parc de Florans avec sa technique spectaculaire ; ses « attaques » très verticales conviennent à merveille aux pièces de Prokofiev (Sonate « Réminiscence » et extraits de Dix pièces op. 12), mais pour Chopin (Polonaise-Fantaisie) et Schumann (Carnaval) sa technique donne un ton très dur.

Le lendemain, , 20 ans, candidate au Concours Chopin de Varsovie l'automne prochain, est très attendue par un public nombreux. Malgré sa petite taille et son apparence d'enfant, elle propose des interprétations de Chopin d'un grand perfectionnement. Toutefois, dans des parties lentes et lyriques, elle a tendance à vivoter légèrement, générant un contraste parfois assez déséquilibré avec la vivacité dont elle fait preuve pour le reste. La soirée se termine avec un tout autre style de musique, par , un groupe de cinq musiciens brésiliens qui conçoivent le piano comme un orchestre – d'où son nom – avec des techniques de percussions, de piano préparé, de frottement et de pincement directs de cordes dans la caisse de résonance.

Le 1er août se déroule dans le cloître de la magnifique Abbaye de Silvacane un autre récital très attendu : un programme entièrement par l'Américain Bruce Brubacker. Il donne un véritable souffle lyrique à ces musiques dites répétitives ou minimalistes, avec des visages différents à chaque « séquence » répétée. Pour le coup, son interprétation (entre autres de Metamorphosis n° 2 et n° 1, de quelques Études et de Mad Rush) devient hypnotique et envoûtante dans tous les sens du terme. Et il se passe une chose complètement magique : « Warum ? », extrait des Fantasiestücke op. 12 de Schumann, qu'il interprète en bis, sonne étrangement comme un Glass ; et lorsqu'il revient au compositeur américain en deuxième bis, dans une continuité totale de son expression, la notion de l'époque musicale disparaît et on ne sait où on doit situer Schumann et Glass…

Crédits photographiques : © C. Gremiot ; © M. Kabac

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