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Création mondiale du Nabulio de Bruno Coulais au Festival Berlioz

En hommage au créateur de formes que fut Berlioz, le Festival initie une tradition : créer des œuvres d'aujourd'hui. Commande 2015, Nabulio de convoque le fantôme contesté de Napoléon Bonaparte.

Après Berlioz en Amérique en 2014, le Festival fait dialoguer Hector avec Napoléon. La célèbre route Napoléon du Golfe Juan à Grenoble déroule ses lacets à quelques lieues de La Côte-Saint-André. Le bicentenaire du retour de l'île d'Elbe permet d'installer le décor du retour triomphant (Berlioz avait 12 ans) que l'histoire a gravé. Intitulée Sur les routes Napoléon, l'édition 2015 jette des ponts entre les deux hommes, dont on sait que le politique fascina le musicien, comme il fascina Beethoven. Ainsi que le déclare qui, à la tête de sa Clique des Lunaisiens, donna, sous le balcon d'Hector, une remarquable suite de concerts chargés de faire revivre la Légende napoléonienne : « On était pour ou contre Napoléon mais on ne pouvait faire sans. »

Sous-titré « Oratorio pour chœur polyphonique, orchestre symphonique et récitant », Nabulio s'inspire d'un genre créé avec succès par Félicien David : l'ode-symphonie. Admiré par Berlioz, David, dans son ode-symphonie Christophe Colomb (ressuscité par le Festival en 2014), évoque le navigateur. Nabulio (ainsi était surnommé Napoléon enfant dans sa Corse natale) l'empereur.

Architecturée sur des textes de Napoléon (Mémorial de Sainte-Hélène et lettres), l'œuvre navigue entre douze chants corses (textes et musiques de ), deux poèmes de Fernando Pessoa et de brefs passages symphoniques. De fait elle navigue également entre deux styles : passée une énigmatique introduction confiée au seul piano, souffle le chaud et le froid avec une partition déchirée entre questionnement atonal et immédiate séduction. Dès que la mélodie, les enchantements des cordes se font entendre, ils cessent aussitôt sans que l'on puisse trancher entre manque de substance mélodique et angoisse du racolage. Ce trop prudent entre-deux stylistique ne cesse de nuire à Nabulio, qui, au terme de ses 90 minutes, n'a toujours pas convaincu. Déplorons enfin qu'au contraire des odes-symphonies très inspirées de , où le récitant savait se faire très discret, Nabulio soit une œuvre terriblement bavarde.

Les artistes sont en revanche à louer sans réserve : les six hommes du chœur A Filetta, d'une prégnante émotion dans les plus beaux passages de la partition, la subtilité imparable du récitant impérial de (même lorsqu'il s'agit de donner à voir l'érotisme crypté des mots à Joséphine), le bel , tous sous la houlette du piano délicat de .

A une époque où l'on n'en peut vraiment plus de voir l'homme envahisseur faire balbutier l'histoire, avouons pour conclure combien il est malaisé de parvenir à s'attacher à la figure d'un homme dont l'ambition piétina la vie de tant d'êtres humains. Malaise subtilement confirmé à la fin de cette courageuse création (accueillie tout de même avec succès), lorsque l'on entend le récitant conclure à nu : « Je n'ai plus à défendre la réputation que l'histoire me prépare. Elle dira qu'un homme pour qui tout un peuple s'est dévoué ne devait pas être si dépourvu de mérite que ses contemporains le prétendent.»

Crédit photographiques: © Delphine Warin/

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