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Guillaume Tell à Genève, l’adieu aux légendes

Le Grand-Théâtre de Genève ouvre sa saison d'opéra avec la grande fresque patriotique suisse, basée sur la légende de Guillaume Tell, imaginée par un écrivain allemand, versifiée par deux librettistes français, mise en musique par un compositeur italien et mise en scène par un scénariste anglais !

Adieu légendes ! Wagner écrivait les siennes et les faisaient chanter en allemand. Ici, Gioacchino Rossini s'empare d'une légende suisse allemande pour la créer, voici bientôt deux cents ans, à Paris et en langue française. Et il faut bien l'avouer, la poésie épouvantablement alambiquée du livret ne passe plus très bien de nos jours. Lorsque dans un récitatif on relève : « J'entends de pas nombreux la forêt retentir ! », on se dit que Molière et son « Belle Marquise, vos beaux yeux… » ne sont pas bien loin. Malheureusement, ici nous ne sommes pas dans la comédie rossinienne. En lisant la traduction du livret en langue italienne, on constate que cet idiome s'accommode très bien à ces formes poétiques ampoulées. A se demander s'il ne serait pas plus judicieux, pour la crédibilité du spectacle, de présenter Guillaume Tell dans sa version italienne. Quitte à laisser aux musicologues et au festival spécifiquement dédié au maître de Pesaro le soin de présenter sa version originale.

Dans ce qu'on peut appeler une mise en place plus qu'une mise en scène, ne prend aucun parti pris pour raconter cette légende. Avec des personnages qu'il ne situe ni dans le temps, ni guère dans l'espace, il transforme la scène en quelques tableaux d'où sort rapidement un ennui habillé de solistes qui ne croient pas un seul instant à ce qu'ils racontent. Ils n'y croient pas et nous non plus. Des longues déclamations à caractère patriotiques ou religieuses, le metteur en scène anglais les montrent avec ses chanteurs face public en leur donnant à effectuer des gestes dans la convention la plus totale. La main sur le cœur, le poing levé, le sourcil froncé, le visage dans les mains, toute la panoplie des attitudes d'un théâtre révolu sont au programme. Des attitudes qu'on dénote particulièrement dans le Chœur du Grand Théâtre qui, outre cette carence théâtrale, manque d'une articulation évidente de la langue de Molière.

Devant le décor (Raimund Bauer) d'Alpes glaciaires de séracs dessinés sur trois panneaux mobiles, les costumes (Marie-Jeanne Lecca) montrent des personnages d'aucune époque particulière. C'est ainsi qu'on costume Guillaume Tell en paysan du 18e siècle, alors que Gessler revêt une cuirasse de manga. On l'aura compris. Cette production de « Guillaume Tell » peine à captiver, portant le chaland à l'ensommeillement.

Jusqu'au moment où la soprano (Mathilde) entre et se met à chanter. Elle chante. Avec une présence vocale où trône la simplicité, elle chante. Habitée jusqu'au tréfonds de son chant, elle offre une voix d'une légèreté exceptionnelle, d'une beauté de ligne de chant qui n'est pas sans rappeler celle de Katia Ricciarelli qui avait illuminée la scène genevoise dans ce même rôle en septembre 1979 ! Irradiant le plateau de son charisme, son interprétation du fameux et magnifique air d'entrée (Sombre forêt) réveille le public qui offre à la soprano biélorusse les premiers applaudissements de la soirée depuis ceux, plus traditionnels de l'ouverture. Sa présence, l'excellence de son chant entraîne le ténor (Arnold) dans son sillage. Tout à coup, le chant du ténor américain jusqu'ici techniquement parfait acquiert soudain une dimension artistique. Il devient un amoureux réel, crédible.

On croit au déclic de la soirée. Las, quittant le plateau, la morosité théâtrale reprend le dessus avec son bagage de lassitude. Ainsi en sera-t-il jusqu'à la scène de la flèche qui voit Guillaume Tell condamné par Gessler à tirer une flèche sur une pomme placée sur la tête de son fils. Une scène qui, il faut bien l'admettre, est symboliquement forte en montrant l'unité des citoyens autour du héros légendaire suisse. Pour l'illustrer, la flèche de Guillaume Tell passe lentement de mains en mains des Suisses pour se ficher finalement dans la pomme. Mais çà, Rossini ne l'avait pas prévu ! Pas de musique pour accompagner la lenteur du geste ! Qu'à cela ne tienne, on jouera une série d'accords répétés à de larges intervalles jusqu'à ce que la flèche atteigne son but.

Aussi quelconque que soit cette production, les solistes, même théâtralement minces et peu convaincants, chantent avec soin. La plupart s'avèrent vocalement de bons interprètes. On note la prestation intéressante du baryton (Gesler) que l'emportement rageur oblige à un chant de caractère bienvenu. Si le baryton canadien (Guillaume Tell) contribue très bien à son écrasant rôle, c'est la splendide voix de la basse russe (Walter Furst/Mechthal) qui impressionne. Doublure du rôle d'Arnold, le ténor sicilien (Ruodi) est un batelier-pêcheur de luxe.

Dans la fosse, le chef Jesús López-Cobos n'est pas très enthousiasmant. Semblant victime de la léthargie scénique générale, sa direction d'orchestre se fait timide avec un un peu terne dans l'accompagnement des solistes mais plus présent dans les interludes et la fameuse ouverture où on apprécie le beau solo de violoncelle de Stephan Riekhoff.

Crédit photographique : © GTG/Magali Dougados

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