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Olga Neuwirth fait l’événement à Donaueschingen

Au cœur de la forêt Noire, et dans un camaïeu de couleurs automnales jaune d'or, la petite ville de Donaueschingen (21 000 habitants !) accueille, chaque troisième week-end d'octobre, le plus ancien festival de musique contemporaine (fondé en 1921), placé sous les auspices de la maison de Fürstenberg.

Donaueschinger Musiktage 2015 (du 16 au 18 octobre) est dédié à la mémoire d'Armin Köhler, directeur du festival depuis 1992 et décédé en novembre dernier. Dix-huit créations mondiales sont cette année à l'affiche, mêlant concerts, performances et installations. Si le festival essaime dans une dizaine de lieux différents, il est aujourd'hui doté d'une sorte de palais de la musique et des congrès, le Donauhallen, lieu central entièrement rénové en 2009, qui abrite trois salles de concerts.

C'est dans la Salle Bartók, entièrement modulable, que les techniciens de l'Ircam déploient outils et machines pour réaliser « l'arche de rêve » imaginé par . Encantadas o le aventure nel mare delle meraviglie, la nouvelle œuvre de la compositrice autrichienne, fait l'événement du festival. Sont invités l' et son chef pour cette création mondiale, co-commande de l'EIC, de l'Ircam, du festival de Lucerne, de Wien Modern et du Südwestrundfunk (Donaueschinger Musiktage).

Le titre de la pièce est une référence directe à la nouvelle d'Herman Melville, The Encantadas or Enchanted Isles (1854), auteur à qui Neuwirth a déjà rendu un hommage musical dans The Outcast, hommage à Herman Melville. Mais par-delà « les îles enchantées », Neuwirth regarde vers Venise et l'église San-Lorenzo, où Luigi Nono, en 1984, crée Prometho, una tragedia dell'ascolto. Le compositeur vénitien y déconstruit le dispositif d'écoute traditionnel, plaçant les musiciens sur trois galeries supérieures et le public au centre de l'espace acoustique, le conviant à une expérience d'écoute unique.

Le projet de Neuwirth, via la technologie de pointe de l'Ircam (procédé ambisonique très sophistiqué), est de reconstituer l'espace sonore de la coupole vénitienne. Mais ici l'enveloppe acoustique virtuelle devient mouvante et perméable aux effluves et rumeur de l'extérieur : « l'église se casse, elle murmure, se fissure, hurle et chante, comme un bateau sur les flots » précise la compositrice.

Sont répartis au pourtour de la salle – dont le public occupe le centre – six « ilots » instrumentaux, réagissant au geste télévisé de . Aux pupitres habituels se joignent un ensemble pléthorique de percussions, trois échantillonneurs et quelques « monstres » comme le contrebasson, le saxophone basse et la clarinette contrebasse. Autant de ressources pour engendrer des morphologies sonores multiples, des trajectoires animées de mouvement cinétique spectaculaire et des impacts étonnants testant la réverbération virtuelle des lieux. La présence de la voix, parlée ou chantée, traitée par les logiciels, resserre le champ d'écoute et crée un espace plus intimiste, voire familier, telle cette chanteuse pop à la fin de l'œuvre, accompagnée au synthétiseur.

Aux sources acoustiques et à celle des échantillonneurs, charriant un matériau plus hétérogène, la compositrice adjoint une partie électroacoustique fixée, paysage sonore et ambiance marine diffus et poétiques, qui reviennent à plusieurs reprises, projetant l'écoute vers l'extérieur (les sons captés dans la lagune), dans un espace-temps tout autre.

Multiples, éruptives et dépaysantes, les « îles enchantées » de Neuwirth impressionnent, captivent et sollicitent tout à la fois notre imaginaire.

Quatre créations mondiales étaient au programme de la soirée de clôture à la Baarsporthalle, immense salle polyvalente quelque peu décentrée. Le festival recevait le désormais mythique dont c'était l'ultime participation aux Donaueschinger Musiktage avant sa fusion prochaine avec la phalange de Stuttgart, fusion une fois encore contestée par les musiciens à l'entrée du concert.

Au programme et sous la direction très avisée de , The Book of beginnings, du compositeur américain , est écrit à la mémoire d'Armin Köhler. L'œuvre, un rien débridée et chaotique, sollicite, outre deux disklaviers, un second orchestre de jeunes musiciens installé en fond de scène. Über pour clarinette, orchestre et live-électronique de Mark André met en vedette l'excellent soliste . La pièce d'envergure emprunte son titre au livre IV de Moïse. Elle nous convie à une trajectoire conçue dans l'épure sonore chère à Mark André, qui intègre ici à son matériau de composition les processus de transformations électroniques.

Killing Bach de est une entreprise beaucoup plus risquée, surtout au cœur de la forêt Noire ! C'est un choral du Cantor de Leipzig que le compositeur et organiste met « à la question » à travers un travail de sape virtuose. Avec son instrumentarium préféré – rhombe, ballon, appeaux… mais aussi perceuse, marteaux et pistolets – son humour décapant et sa manière ludique et bruiteuse, Filidei s'ingénie à tronçonner la musique de Bach, qui résiste pourtant vaillamment et jusqu'à la fugue finale. Le ton monte alors et s'envenime (Batucada endiablée) jusqu'au drame inévitable…

La poétique sonore d' est toute autre, qui, dans Why so quiet, quatrième pièce au programme, ajoute au grand orchestre trois groupes de percussions spatialisés. Dans cette œuvre captivante de bout en bout, Chauris met à l'œuvre la fulgurance du geste qui projette le son et le propage dans un espace et un devenir toujours mouvants. Why so quiet est une étude de matières et de mouvements qui articulent le continuum sonore. Le soin du détail et la recherche de timbres rares confèrent sensualité et raffinement à un flux sonore extrêmement ductile et magistralement conduit. Piano jouet, pierres entrechoquées, steel-drums, flûte à coulisse, harmonicas sont autant de couleurs et moirures dont se pare le spectre sonore que le compositeur déploie dans des temporalités très contrastées. Quant à l'utilisation de la sirène, immanquablement varésienne et la présence du bâton très lulliste, avec lequel frappe le sol avant de commencer l'œuvre, le mystère reste entier!

Exemplaires, l'orchestre Baden-Baden und Freiburg et son chef servent chacune des créations au programme avec une virtuosité confondante et un rare engagement.

Crédits photographiques : © Luc Hossepied

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