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À Fribourg, Carlotta ou la Vaticane

La création mondiale d'un opéra est chose rare. Quand celle-ci se passe dans une ville où la saison d'opéra se cantonne à une seule production annuelle, le fait revêt une importance peu commune.

En mai 1998, la Cité du Vatican est secouée par la mort du Commandant de la Garde Suisse, de sa femme et d'un jeune garde de 23 ans gisant dans leur sang. D'enquêtes secrètes en révélations obscures, un épais brouillard recouvre, encore aujourd'hui, cette tragique affaire. C'est à partir de ce drame qu'Alexandre Emery et Stéphane Sapin imaginent un scénario d'où ressortent les luttes de pouvoir au sein de la maison pontificale, somme toute peu différentes de celles qui émaillent l'histoire des hommes et de leurs souverains.

Dans cet opéra où se côtoient ambition, jalousie et pouvoir, le journaliste Christophe Passer, malgré son avouée inexpérience dans le domaine de l'opéra et son écriture littéraire, soumet un livret clair dans l'énoncé de l'intrigue. Cependant, il manque parfois de concision dans l'expression des sentiments. Dans son livret, Christophe Passer favorise une écriture théâtrale, le dialogue plutôt que le monologue tendant vers la réflexion. L'opéra demande des phrases courtes, des mots puissants et des silences que prolongent la musique.

Mais un librettiste, aussi brillant soit-il et un compositeur expérimenté ne font pas nécessairement un bon opéra. Dans le cas d'espèce, si l'intention dramatique et l'intrigue ne manquent pas d'intensité encore faut-il que la musique souligne, renforce l'intention du livret. Or la musique de ne porte pas le drame. Elle manque d'élan, de corps, de chair, de vibration. La partition alterne complexité harmonique avec  dissonances teintées de modernisme. L'orchestration, souvent bruyante, assène des espaces musicaux étriqués. Ainsi, la clarinette dialogue avec les marimbas, le trombone avec le xylophone sans qu'on en comprenne la réelle portée.

Dès le début, le compositeur se complaît dans ce qui apparaît comme un cliché musical d'une montée chromatique dirigeant le chant vers l'aigu puis retombant pour repartir bientôt vers le haut. Dans cette approche monotone et répétitive, le mot ne peut être souligné, ni la phrase sublimée. Seul contraste, le chœur des gardes suisses exprimant leur mal du pays (d'ailleurs très caricatural avec lyoba, fromage et fleurs des Alpes !) semble prendre forme dans un chant patriotique auquel, pour ne pas se défaire de la contemporanéité de la musique, on s'empresse d'y ajouter un accord dissonant. Un contexte musical difficile ne favorisant pas l'expression lyrique.

S'approchant par moment du Sprechgesang, il n'y a aucun aria. Ce dialogue de près de deux heures n'offre ni suspension, ni exaltation (sauf à de courts instants, comme dans le duo d'amour de Tibère et Carlotta). Indéniablement, cette longue déclamation demande une grande préparation des interprètes. Et là, la distribution s'avère d'un excellent niveau.

À commencer par le rôle-titre sur scène tout au long de l'opéra. Vocalement, la soprano (Carlotta) possède son rôle (imposant). Cette partition, parsemée de phrases musicales courtes et répétitives à chanter principalement dans le registre aigu, est si hâchée qu'il est difficile de se faire une idée de la qualité réelle de la voix de la soprano. Toutefois, l'intrigue tournant autour d'une femme consciente de son pouvoir de séduction sur les hommes, la seule vocalité de la jeune soprano ne suffit pas au personnage. En effet, le jeu de n'exprime ni la sexualité, ni la sensualité provocatrice du rôle. Cependant, elle reste convaincante quand elle chante l'amour qu'elle porte à son fiancé.

À ses côtés, le plus que prometteur ténor (Tibère) compose son rôle avec beaucoup de classe. La voix jeune, colorée, pleine d'harmoniques, avec des sonorités rappelant Alfredo Kraus, il est le personnage aussi bien théâtralement que vocalement, démontrant son aisance à lancer les nombreux aigus de sa partition.

Autre belle voix dont il faut vanter la qualité, le baryton (Commandant Kurstein) (à la carrière des plus étrange !) incarne bien le pouvoir. Cependant, on aurait aimé qu'il exprime plus de fougue dans son désir pour Carlotta.

La soprano vaudoise (Gloria) offre l'image de la femme délaissée tout en finesse. Dans sa manière d'accepter avec tristesse l'abandon de son mari pour l'ensorcelante Carlotta, elle chante sa résignation avec sensibilité. Son air final, chanté avec tendresse et contrition aurait certainement mérité une musique plus en relation avec l'esprit de sa plainte.

Si le vibrato excessif de (Don Eliseo) dérange et détonne quelque peu avec les autres chanteurs, son rôle de « méchant » sied finalement à cette voix déjà usée.
Pour les rôles de moindre visibilité, il est heureux de noter que leur choix s'avère tout aussi scrupuleux que pour les rôles principaux.

Dans sa mise en scène, profite de la nouveauté de cet opéra pour raconter l'intrigue en terrain vierge. Cependant on aurait aimé que le metteur en scène vaudois s'investisse plus dans la direction d'acteurs afin de mieux crédibiliser certains de ses protagonistes. Dans un décor simple et efficace, les costumes sont bien dessinés quoique sans recherche. Dans une société aussi traditionaliste que celle du Saint-Siège, on peut difficilement croire que, même décontracté, un Commandant des gardes suisses en congé reçoive ses hôtes en leggings et en baskets!

Dans la fosse, le chef tente tant bien que mal de guider un dans les débordements d'une musique aussi torturée.

Crédit photographique: © Alain Wicht

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