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Dukas et Barraqué sous les doigts de Françoise Thinat

Pour fêter les 80 ans de , le label Solstice lui consacre un double CD d'archives où la pianiste interprète deux œuvres monstre du répertoire dans lesquelles peu de solistes se sont aventurés : les Sonates de Dukas et Barraqué.

Pianiste émérite, qui reçoit l'enseignement d' et de Germaine Mounier au Conservatoire National Supérieur de Paris, avant de se perfectionner avec Marguerite Long, Georges Tzipine, Louis Fourestier… est une personnalité rare dont le rayonnement artistique et pédagogique force l'admiration.

Aventurière, l'est assurément qui, en 1994, fonde le Concours International de Piano d'Orléans pour promouvoir le répertoire pianistique de 1900 à nos jours et révéler les jeunes talents investis dans la musique de leur temps. Ainsi Francesco Tristano Schlimé, Winston Choi, Toros Can, Wilhem Latchoumia, Florence Cioccolani… ont-ils vu démarrer leur carrière en remportant le concours qui, à chaque édition, suscite une commande à un compositeur d'aujourd'hui.

Dans le livret très attachant de ce double CD, Françoise Thinat relate les différentes étapes de son travail avec pour monter sa Sonate qu'elle a jouée pour la première fois aux Semaines Musicales Internationales d'Orléans en 1972. Sœur cadette de la Deuxième Sonate de Pierre Boulez, elle relève de la même technique sérielle ; autre pierre d'angle du répertoire de la deuxième moitié du XXe siècle, la Sonate reste un défi lancé à l'interprète. Dans cet enregistrement de 1972, la prise de son en concert n'est certes pas optimale mais restitue pleinement l'autorité du geste de la pianiste et son envergure sonore au sein d'une écriture éruptive et toute en contrastes dont il faut dompter l'aspect éclaté et fragmentaire. La première section est impressionnante, dans la puissance et la virtuosité déployées où se dessine une impeccable trajectoire formelle guidant notre écoute. On ressent dans la seconde section, conçue dans un tempo élargi, la même fluidité du phrasé et l'intelligence du texte conférant au discours sa profondeur autant que son pouvoir expressif.

La Sonate de , terminée en 1900, a elle aussi de quoi intimider les pianistes. C'est , qui a travaillé et joué l'œuvre auprès du compositeur, qui transmet la pensée du maître à Françoise Thinat dont la version de studio de 1972 est gravée par Arion : « C'est d'un très ferme dessin architectural, d'une grande unité de style et d'esprit, avec cette allure un peu hautaine et fière qui caractérise une telle musique » : tels sont les propos chaleureux d', félicitant et remerciant Françoise Thinat pour son interprétation au disque de la Sonate qu'il vient de recevoir. Datée du 14 janvier 1973, la lettre adressée à la pianiste est donnée in extenso dans le précieux livret de l'album où figurent également une dédicace de Jean Cocteau, un portrait de l'interprète dessiné par Eliane Chiron et le manuscrit du troisième mouvement de la Sonate qu' lègue à son ancienne élève par testament.

Françoise Thinat aborde le premier mouvement de la Sonate avec une énergie et un souffle puissants. La ligne y est toujours admirablement chantée dans la plénitude du son et la clarté de la polyphonie. Le second mouvement, d'un cheminement très beethovénien, est d'une sublime beauté laissant apprécier la richesse du toucher de l'interprète et sa maîtrise du clavier, utilisé dans tous ses registres expressifs. Sous des doigts d'acier, le scherzo est saisissant, tant par la toccata fougueuse qui l'introduit que l'audacieuse fugue aux contours hallucinés. Spectaculaires enfin sont la puissance du jeu et l'abattage technique déployés dans un final très lisztien, gorgé d'une ardeur et d'un élan passionné que cette artiste hors norme semble prodiguer avec un naturel déconcertant.

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