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7e Biennale de quatuors à cordes à la Philharmonie de Paris

La 7e édition de la initiée par la Cité de la Musique reçoit quelques vingt phalanges internationales et met à l'affiche l'intégrale des quatuors à cordes de .

Au côté des 15 opus du maître russe, un coup de projecteur est donné sur la personnalité de Mieczyslaw Weinberg (quatre quatuors sur l'intégrale des 17 inscrits à son catalogue et désormais disponible au disque) dont on redécouvre aujourd'hui la musique. Compositeur d'origine polonaise qui émigre en Union soviétique au début de la Seconde Guerre mondiale, Weinberg se lie d'une profonde amitié avec Chostakovitch dont il partagera les mêmes difficultés concernant ses rapports avec le régime stalinien.

Attentive à la création, au sein d'un genre que les compositeurs d'aujourd'hui affectionnent tout particulièrement, la Biennale inscrit au programme huit créations, mondiales et françaises, commandes de la Philharmonie de Paris à laquelle se joignent diverses institutions du monde musical, tel que le Centre européen de musique de chambre ProQuartet, qui apporte notamment son soutien financier aux nouvelles œuvres de Philippe Leroux et .

C'est au , qui fête en 2016 son dixième anniversaire, que revient l'honneur d'ouvrir la manifestation, dans un Amphithéâtre du musée bondé (le 15/01). A côté du Quatuor à cordes n°7 de Chostakovitch, deux créations mondiales sont à leur programme. Du compositeur italien , Notturno sulle corde vuote sollicite une nouvelle lutherie, les Smartinstruments, dont les qualités acoustiques sont programmables. Les instruments du quatuor sont donc amplifiés et placés sous le contrôle de l'informatique Ircam. A sa manière sensible et poétique, Filidei (1973) conçoit une trajectoire dall'niente all niente sur le spectre des cordes à vide du quatuor. Entre tressaillements, chuchotements et oscillations, le compositeur nous immerge dans le son et sa résonance, à la recherche des voix secrètes et intimes des instruments.

Plus physique et spectaculaire, White Face (de la glisse) de Philippe Leroux (1959) explore le mouvement du « glissé » que lui inspirent les skieurs sur les flancs de la montagne White Face dans l'État de New York. L'œuvre est une gageure, qui va au bout de l'exploration du glissando décliné au sein du quatuor dans toutes ses manifestations sonores – profils, allures, vitesses, registres… L'écriture roborative est un rien obsessionnelle mais le jeu quasi acrobatique et l'engagement des Béla dans cette performance « sportive » impressionnent.

Placé entre les deux créations, le Quatuor n°7 en fa dièse mineur op.108 de , d'une extrême concision, est une trêve tonale très anachronique. L'approche sensible des Béla et leur interprétation toujours très respectueuse de l'écriture, sans outrance ni débordement, est exemplaire, laissant apprécier la ductilité de leur archet et la plénitude des sonorités en parfaite osmose.

Quelques minutes plus tard, dans le même Amphithéâtre, le , basé à Bruxelles, débute son concert par le quatuor à cordes n°1 Métamorphoses nocturnes de , une œuvre bartokienne autant que juvénile du compositeur hongrois qui signe un premier chef d'œuvre. Les Tana y exercent le ressort rythmique et la qualité incisive de leur jeu, même si le geste est un rien heurté et les contrastes trop accusés à notre goût. L'excès de son, de geste et d'énergie sert au contraire magnifiquement Shadows, le troisième quatuor de (1974) écrit pour les Tana et donné en création mondiale. Pour cette pièce très spectaculaire, envisageant la matière sonore dans sa saturation et son incandescence, les quatre interprètes ont dû changer d'instruments. Les archets sont chauffés à blanc pour engendrer un monstre hybride crachant du feu et générant des explosions! Mais la trajectoire n'est pas toujours « dans le rouge », les couleurs, le grain, les textures se renouvelant au gré d'un imaginaire et d'une cinétique sonore éblouissants.

Après une pause salutaire, les interprètes donnent une très belle version du Quatuor n°14 de Chostakovitch, composé deux ans avant sa mort. Musique d'un homme épuisé, le second mouvement très dépouillé fait jaillir l'émotion au sein d'un jeu sensible et sans pathos.

Sans doute le plus jeune de la biennale, le est sur le plateau de l'Auditorium le samedi 16 au matin. Il est présenté par la Philharmonie de Paris dans le cadre du projet Rising Stars du réseau de salles ECHO. Au sein d'un programme un brin ambitieux, inscrivant rien moins que le Quatuor n°5 de Bartók, les quatre jeunes femmes se révèlent dans l'interprétation de l'opus 50 n°5 de Haydn qui débute leur concert. Elles donnent ensuite en création mondiale Secondo Quartetto de (1979), une pièce que la compositrice italienne a écrit à leur intention. La partition d'un grand raffinement est d'un seul tenant de 8 minutes seulement. y dessine une trajectoire originale, du flux narratif à une progressive densification de la matière jusqu'à saturation, engageant la virtuosité du geste et la tension de l'écoute: un défi relevé par la jeune phalange qui fait là ses premiers pas dans l'univers de l'écriture d'aujourd'hui.

En soirée, c'est le , basé à Cologne, qui investit le plateau, proposant un programme très/trop éclectique, de Mozart à Mantovani, en passant par Beethoven (une Grande fugue en trop!), Chostakovitch et Webern; sans oublier leur nouveau concept, le « #quarttweet » invitant les compositeurs connectés à envoyer par Twitter des pièces de 140 notes maximum, dont ils jouent les premiers éléments. On est d'emblée saisi par la qualité de son de ces techniciens hors norme dans l'Adagio et Fugue K.546 de Mozart qui débute magnifiquement la soirée. La luxuriance des timbres, l'homogénéité des pupitres s'exercent également dans le Quatuor à cordes n°9 de Chostakovitch mais les interprètes s'épanchent dangereusement là où l'écriture du compositeur tend davantage vers l'ironie. La même complaisance, poussée à l'excès, dénature le Langsamer Satz du jeune Anton Webern, certes encore englué dans le post-romantisme. Mais on attend surtout les Signum dans la création du Quatuor à cordes n°3 de (1974) dont ils servent idéalement la virtuosité et l'envergure sonore. Le début de la pièce libère une énergie fulgurante qui signe la manière puissante et efficace de son auteur aux prises avec ce méta-instrument à 16 cordes. L'œuvre s'inscrit dans un jeu de trajectoires multiples, de l'entrelacs chaotique à la ligne soliste. Mantovani met à l'œuvre autant de processus accusant son obsession du mouvement même si l'écriture « s'essouffle » un rien sous les archets, durant les 23′ sous tension de cette nouvelle création.

Pas de biennale sans le désormais mythique qui investit la Salle des concerts (le 18/01) pour une première partie de soirée consacrée à la création du quatrième quatuor de (né en 1952) intitulé Fragmenti: Onze inscriptions (« notations ») pour quatuor à cordes, somptueuses et très elliptiques, où Manoury fait naître une idée ou un geste singuliers sans les développer. Alternent ainsi quasi systématiquement l'écriture éruptive et rageuse (Furia 1 et 2) dessinant des trajectoires complexes (accelerando infinito) et des moments plus calmes, au temps étiré, où la matière sonore ductile se pare de moirures étranges (Serenata). L'écriture dense et cursive a été pensée pour les Arditti, interprètes hors norme qui restituent la partition avec une maestria confondante.

On les retrouve à l'Amphithéâtre du Musée le surlendemain, pour la création française de The Silk House Sequences, second quatuor du Britannique Harrison Birtwistle (1934) qui aborde le genre à 70 ans révolus! Le compositeur fait fonctionner cette pièce d'envergure (25′), articulée en 19 séquences, sur une sorte de mécanisme perpétuel continuellement perturbé ou contredit par des gestes de décélération et reprise du mouvement dont résulte la dramaturgie. Sous le geste magistral des Arditti, l'œuvre foisonnante s'impose par la puissance de l'architecture sonore qui guide l'écoute et la force expressive de son matériau.

Rares sont les Quatuors à cordes (excepté les Béla qui l'ont enregistré) qui s'aventurent dans le Quatuor n°2 de , une œuvre emblématique de la modernité qui complète ce soir le concert des Arditti (le 20/01). Le geste est toujours radical, accusant les contrastes et ménageant des ruptures spectaculaires. Avec une précision dans les dynamiques extrêmes et une transparences des textures les plus délicates, l'interprétation phénoménale qu'il donne de ce quatuor constitue chaque fois une nouvelle expérience d'écoute.

En création française enfin, K'in de l'Autrichien (né en 1974) réunit sur scène le quatuor à cordes Hugo Wolf, basé à Vienne, et l'éminent bassoniste Pascal Gallois. K'in, qui signifie soleil en langue maya, suscite l'alliage superbe du basson, dans ses registres sombres et ses sons fendus – façon Didgeridoo – et des quatre cordes en scordatura. L'œuvre aux allures de rituel, litanique et envoûtante, fait circuler un petit motif qui titille notre mémoire – l'appel mystique du Prométhée de Scriabine – conférant à l'œuvre très habitée son aura mystérieuse.

Crédits photographiques : (c) Jean-Louis Fernandez; (c) Nicolas Draps

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