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Les Cris de Paris au festival Présences

Conçu comme une « réflexion sur l'emprise du monde politique et social sur la scène musicale », le programme des Cris de Paris de pour le troisième concert du 2016 de Radio-France « Oggi l'Italia » prenait la forme de quatre pièces à la vocalité noire et funeste : de la révolte politique de , en passant par la déploration en clair-obscur de et la douce acceptation endormie de , pour aboutir au carnaval grotesque et morbide de .

C'était une grande fresque sonore de qui ouvrait ce concert : Perché non riusciamo a vederla ? (Pourquoi ne pouvons-nous pas le voir ?), pour chœur et alto soliste. Utilisant des textes de graffitis collectés sur les murs de Rome et de Turin, cette œuvre engagée et « enragée », d'un aspect parfois disparate (afin d'imager les graffitis), nous emmène à travers les rues et les lieux de contestation politique, afin de créer une « œuvre-monde », où l'alto ne se mêle jamais à la collectivité du chœur, préférant opter pour des interludes solistes. Toutefois, malgré quelques belles textures, on regrettera qu'une œuvre à la pensée aussi contestataire soit imagée par autant de topics « avant-gardistes » paraissant par là bien académique, et créant ainsi des très grandes difficultés d'interprétation dont on peine à saisir la raison profonde (scénographie des femmes dos tourné au public) ou bien une logique orchestrale dans l'écriture chorale mais qui ne cherche pas à rendre la vie facile aux chanteurs (diapasons constamment sortis). L'altiste est quant à lui redoutable de maîtrise et d'engagement dans une partition qui ne ménage pas sa virtuosité.

Le concert se poursuivait avec le bouleversant Let me bleed (Laisse moi saigner), déploration signée . Vocalité épaisse et lyrique, usant d'harmonies fines, de textures travaillées, ainsi que de subtiles clins d'œil à la musique baroque, cette œuvre nous apparaît comme le véritable chef-d'œuvre de la soirée. Comme moments forts, on retiendra notamment le sidérante imitation en écho de « bisbigliandi » instrumentaux, ainsi que le finale, où comme désolée, la soprano solo s'éloignera du chœur afin d'achever son chant de plus en plus fragmenté au loin, exilée loin de la scène.

Après l'entracte, nous offraient la création d'une version fraîchement revue par de sa pièce : Dormo molto amore (Je dors de beaucoup d'amour). Douce berceuse en forme de pendule statique, cette œuvre touchante nous fait savourer en particulier un finale aux harmonies moelleuses et aériennes, rehaussées de petites touches percussives jouées par les chanteurs.

La concert s'achevait avec le délirant Ludus de Morte Regis (Jeu de la Mort du Roi) de , une œuvre carnaval, où le second degré est érigé en maître-mot (comme souvent chez Lanza). Inspiré initialement par l'assassinat en 1900 du roi d'Italie Umberto Ier, la pièce en tire un univers de farce à la fois grotesque et halluciné, où les choristes usent d'une incroyable panoplies de bric et de broc, allant d'harmonicas, maracas, flûtes à bec, mirlitons et autre coussins péteurs (!), transformés en direct par l'électronique massive de l', mêlant sons de cloches et scratchs de DJ ! Une œuvre tout à fait extravagante et en dehors des cadres, qui apparaît pourtant d'une profonde cohérence et d'une brillante intelligence…une réussite !

Une soirée portée par une interprétation vigoureuse et engagée des Cris de Paris dirigés par leur chef , que l'on espère entendre au plus vite dans de nouvelles créations.

Crédit photographique: (c) Masotti Ricordi

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