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En voyage avec Jordi Savall et Ibn Battuta

Sur le modèle de son disque consacré à saint François Xavier en Orient (Alia Vox 2007), nous invite à suivre un itinéraire musical et littéraire sur les pas d'un voyageur marocain du début du XIVe siècle, Ibn Battuta.

Ibn Battuta a effectué et consigné par écrit un extraordinaire périple de 30 ans et 120 000 kilomètres, qui l'a mené jusqu'à Ceylan, en Indonésie et en Chine. et les musiciens de diverses origines qu'il a rassemblés autour du noyau d' ont choisi d'illustrer les dix premières années du voyage, du Maroc à l'Afghanistan en passant par l'Égypte, la Palestine, la Péninsule arabique, l'Irak et la Perse, la côte orientale de l'Afrique, Constantinople, l'Anatolie, l'Ukraine et l'Asie centrale. Des détours vers le Mali, l'Espagne et l'Italie sont également prévus.

La musique ponctue chacune de ces étapes ; le programme imprimé doit permettre de les suivre, à travers résumés du voyage et extraits de son récit. Ainsi, l'habitué non nyctalope de la Salle des concerts de l'ex-Cité de la Musique pouvait craindre que l'absence d'éclairage zénithal l'empêchât de suivre le programme. Pour une fois, le dispositif lui vient en aide, puisqu'un récitant, , restitue le texte illisible, et est suppléé par un surtitrage (malheureusement trop souvent décalé) pour les extraits du récit de voyage qu'il dit en arabe.

Cordes pincées, frottées et frappées, vents et percussions : a rassemblé une panoplie impressionnante d'instruments traditionnels méditerranéens et proche- ou moyen-orientaux, tels que l'oud, le rebab, mais aussi par exemple le duduk à anche double, la flûte ney, la valiha, sorte de sitare malgache, ou encore l'organetto espagnol, orgue miniature posé sur les genoux. Que ce soit dans les morceaux instrumentaux ou en accompagnement des chanteurs, cet élargi réalise un mélange virtuose, chacun mettant les sonorités et le jeu de son instrument au service d'une véritable fusion, d'une alchimie sonore et rythmique fascinante. Les affinités que l'on perçoit ne sont cependant pas que le fruit du mélange sonore : ce dispositif met aussi en évidence les influences réciproques d'aires culturelles voisines et perméables, au Moyen Âge.

Légèrement sonorisés, tout comme les instrumentistes, les chanteurs se voient offrir des moments de pur solo (tel le très remarqué Syrien sur un verset du Coran ou en duo avec sur Neveser, un chant de Turquie et de Syrie) mais aussi des chants où s'instaure un véritable dialogue avec les musiciens. Dans le dernier morceau, censé illustrer l'arrivée à Samarcande, où “les habitants se distinguent par leur générosité et leur gentillesse envers les étrangers”, l'auditoire est gratifié d'un somptueux mélange de quatre langues (espagnol, grec, turc et arabe) et de la grosse douzaine d'instruments, le tout avec un engagement et une justesse dans la profusion qui confinent à la perfection. Car instrumentistes comme chanteurs disposent d'une grande latitude pour improviser, et pour prendre en main la direction au gré de leurs solos. Il s'emparent de cette liberté pour le plus grand bonheur d'un public captivé et enthousiasmé.

Crédits photographiques : © David Ignaszewski ; Hespèrion XXI © DR

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