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Kaléidoscope par Khatia Buniatishvili

Pour son cinquième disque, le quatrième chez Sony, la pianiste nous présente Kaléidoscope, un album concept qui réunit des pièces du répertoire russe et français. L'approche fouillée de ce disque inégal reflète la forte personnalité d'une des artistes majeures de ces dernières années.

Lors de la précédente saison, nous avions eu l'occasion d'entendre sur scène au festival de La Roque d'Anthéron cette version très personnelle des Tableaux d'une exposition. Se rapprochant d'un voyage psychologique, cette conception-là implique une mise à distance avec l'œuvre. Grâce au livret accompagnant le CD, nous apprenons que pour , cette œuvre est « une circulation permanente entre le créateur et l'observateur qui seraient une même et seule personne en dialogue avec elle-même. L'exposition est la métaphore d'une vie découpée en moments singuliers ».

Jamais mièvre, le toucher s'illustre à travers des fulgurances dont la pianiste a le secret (Gnomus, Baba Yaga) encadrées par des passages au caractère introspectif. Apporter un éclairage nouveau n'est pas sans risques. Par moments, le discours semble hors de propos avec une esthétique qui s'éloigne de la voix du compositeur. La Promenade initiale, prise pianissimo à un tempo ralenti, prend totalement à contre-pied la partition. Confidentiel à souhait, Il Vecchio Castello installe un climat quasi onirique. Son rubato prononcé, son phrasé très étiré modifient son rapport au temps. De façon récurrente, les annotations piano deviennent pianissimo dans plusieurs tableaux. Autant de libertés d'interprétation perturbent l'unité sur la grande ligne.

Avec l'univers de Ravel, on retrouve une artiste qui se fond avec fluidité dans la Valse, succession d'épisodes aux multiples facettes. Décrite par son auteur comme un « tournoiement fantastique et fatal », cette pièce aux bribes éparses de valse est caractérisée par son côté disloquée, ces syncopes qui relancent de manière bondissante le discours. La pianiste maintient la tension de cette instabilité tourbillonnante. Non loin en embuscade, la mort rôde et se veut menaçante jusqu'à cette chute inexorable. Les tempi sont parfois vertigineux mais l'ensemble reste cohérent et nous assistons à une ascension aussi sensuelle que contrastée.

Florilège de sonorités colorées pour Petrouchka dans sa version pour piano. Ces trois scènes du ballet de Stravinsky déroulent un tapis d'effets percussifs et harmoniques qui exploitent l'instrument à son maximum. Aussi narrative que virtuose, notamment dans un final survolté, fait valoir une approche sensible sans que la forme prenne le pas sur le fond et sans s'éloigner de cette tonalité festive. L'émotion est réelle à travers un mouvement central frappant de clarté grâce au dosage de la pédale.
Malgré un Moussorgski mitigé, il s'agit d'un disque intéressant qui a les moyens de défendre son concept de départ et met en lumière toute la dimension imaginative d'une artiste hors norme.

 

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