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Décevante Alisa Weilerstein dans un récital Chopin/Rachmaninov

Les sonates pour violoncelle et piano de Chopin et Rachmaninov, par leur (trop ?) riche partie dévolue au clavier, posent de redoutables problèmes d'équilibre entre partenaires chambristes. Alisa Weilerstein et  n'évitent pas l'écueil d'une trop grande opulence sonore et d'une exacerbation sentimentale assez rédhibitoires dans ce contexte.

La sonate opus 65 de (1846-47) est la dernière œuvre publiée du vivant du compositeur franco-polonais, et sa création constitua la dernière apparition parisienne publique du compositeur-interprète, en compagnie de son ami Franchomme ; elle fut assez fraîchement reçue, l'auditoire fut médusé par les aspects à la fois crépusculaires et novateurs de cette oeuvre grandiose pleine « d'horribles dissonances » (sic) selon Moscheles. Celle de Rachmaninov (1901), dédiée à son ami Brandukov fut composée immédiatement après la création triomphale du célébrissime deuxième concerto pour piano, lequel mettait fin à une lourde période de dépression. Les deux œuvres partagent la même architecture et tonalité, la première servit probablement de modèle à la seconde ; elles culminent toutes deux dans leur mouvement lent intensément lyrique. On a parfois pu en dire que toutes deux étaient écrites pour piano et violoncelle – et non l'inverse -, ou même « contre » l'instrument à cordes, vu l'opulence de la partie dévolue au  clavier.

Dès les accords inauguraux de la sonate de Rachmaninov, plutôt que de préparer l'entrée en matière de sa partenaire, le pianiste israélo-new-yorkais joue la carte d'un instrument très présent, quasi-symphonique, loin d'un climat intime plus idoine. Et la réponse d' est du même acabit : certes on est d'abord sidéré par la plénitude et la réelle beauté du son – magnifique violoncelle de 1790 dû à William Forster. Mais on déchante vite : les écarts de nuances sont outrés, les crescendi deviennent de brutales alternances de pianissimi et de forte, les phrasés sont trop unifiés par un legato généralisé, parfois mâtiné de portamenti un peu douteux, le tout au détriment des indications et intentions très précises du compositeur. De même l'articulation de cette vaste forme-sonate demeure appuyée par des changements de tempi un peu extrêmes dans leurs options : tout cela baigne dans une atmosphère où le pathos l'emporte sur le sens de la mesure. Si les mouvements médians sont mieux venus, le final pèche par les mêmes outrances dynamiques et autres velléités expressives. Il nous semble que, entre autres, par le passé Gary Hoffman (avec Jean-Philippe Collard – EMI-Warner, à rééditer) ou Trüls Mörk (avec Jean-Yves Thibaudet – Virgin/Erato) étaient beaucoup plus proches de la vérité de cette œuvre à l'équilibre sonore ou formel parfois incertain.

Dès le premier temps de la sonate de Chopin, cela ne s'arrange guère : le pianiste campe avec raideur les premières phrases sans beaucoup de nuances ou d'imagination, et Alisa Weilerstein exacerbe le son par un vibrato de plus en plus envahissant, sans de nouveau aucunement respecter les phrasés demandés. On est plus près d'un certain pugilat sonore que d'un quelconque partenariat. Ajoutons-y un scherzo sans verve rythmique, un mouvement lent souffreteux et maniéré avec ce violoncelle tour à tour détimbré ou à la sonorité exacerbée. Quant au final, il semble se perdre par la faute de tempi trop vifs et de ruptures de ton sans objet. Il suffit de réécouter quelques instants les versions signées Mstislav Rostropovitch/Martha Argerich (DGG), Alban Gerhardt/Steven Osborne (Hyperion-avec un intelligent couplage avec la sonate opus 47 d'Alkan) ou Emmanuelle Bertrand/Pascal Amoyel (au sein d'un récital « Chopin : 1846 dernière année à Nohant » -Hm) pour retrouver le fil conducteur et l'essence de cette sublime musique.

Les compléments de programme permettent enfin d'apprécier les qualités très réelles d'Alisa Weillerstein : un très beau cantabile dans la transcription de la célébrissime vocalise Opus 34 n° 14 de Rachmaninov ou un radieux enthousiasme juvénile et le chic nécessaire dans la plus superficielle polonaise brillante opus 3 de Chopin, dont, par contre l'arrangement par Franchomme de l'étude opus 25 n° 7 est assez dispensable. C'est bien peu pour sauver ce disque assez décevant d'un relatif naufrage, hélas.

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