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À Genève, une Susan Graham kaléidoscopique

Avec sa première venue à Genève, la mezzo américaine offre un récital complexe qui met en valeur sa connaissance des langues et sa belle mémoire des mélodies sans déranger le fil des émotions.

Cassant les habitudes des récitals de ses consœurs, la mezzo-soprano américaine offre un récital kaléidoscopique qu'elle présente elle-même dans un petit préambule explicatif énoncé dans un très bon français. Un récital en huit chapitres, les huit strophes du cycle Frauenliebe und –leben de . Mais chaque chapitre est complété par une ou plusieurs autres mélodies, d'un compositeur différent, en rapport avec le sous-titre du cycle de Schumann.

Si la démarche est intéressante, elle ne permet pas à la soliste d'entrer dans l'esprit de ce grand cycle qu'est l'œuvre de Schumann.  Et, malgré la performance de présenter plus de vingt-huit mélodies faisant appel à quinze compositeurs et de s'exprimer en huit langues différentes, le récital de souffre d'une certaine monotonie.

En effet, à l'exception de l'enjoué Tout gai ! de , toutes les mélodies de ce récital sont de lentes cantilènes peu propices à la diversité de ton et ne demandant pas à la cantatrice une agilité qu'elle ne possède plus aussi bien : peut-être est-ce à dessein pour tenir compte de ce que la nature et le temps qui passe ont commencé à opérer sur la voix de la chanteuse américaine. Si la puissance vocale reste intacte, comme elle le montre dans son …at du er stor ! » (… tu es si grand !) du Møte op. 67 de , la rondeur vocale, la chaleur légendaire du timbre de la mezzo-soprano s'effacent quelque peu pour laisser place à de légères marques acidulées.

Dans la seconde partie de son récital, est apparue plus détendue. Elle a pu ainsi donner l'impression de mieux dominer son sujet. À signaler quelques beaux moments de chant, dans Phidylé de où elle offre une très belle interprétation du poème de Leconte de l'Isle, même si l'excellence de sa diction lui fait perdre un peu de naturel. On a apprécié son très beau pianissimo dans son Repose, ô Phidylé !, rare moment d'intensité artistique.

Quand bien même ce récital témoigne d'un grand professionnalisme, on aurait aimé que la mezzo-soprano américaine s'investisse dans une approche plus artistique en prenant des risques. Son perfectionnisme interprétatif constant génère une froideur artistique qui se manifeste tout particulièrement dans Absence tiré des Nuits d'été d'. L'air est incontestablement bien chanté, les notes sont là, les mots sont intelligibles mais l'interprétation du poème manque de profondeur. Trop occupée à bien prononcer, Susan Graham passe à côté de l'esprit du poème de .

Reste la remarquable prestation du pianiste qui, même rompu à l'exercice de l'accompagnement des plus grandes voix, apporte toujours une touche d'extrême sensibilité à toutes les interprétations.

Crédit photographique : © B Ealovega

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